Méthodologie de la fiche d’arrêt

Une fiche d’arrêt est, comme son nom l’indique, une fiche synthétique qui résume de manière chronologique les éléments essentiels d’un arrêt : résumé des faits importants, résumé de la procédure, problématique et solution. Les étudiants en droit sont amenés à rédiger de très nombreuses fiches d’arrêt au cours de leurs cursus essentiellement pour deux raisons :

  1. Parce que la fiche, si elle est bien rédigée, permet de se remémorer le déroulement de l’affaire et l’apport de l’arrêt en quelques secondes, ce qui est pratique lorsque l’on discute de l’arrêt en TD ou pour réviser (il faut donc particulièrement soigner la rédaction de la problématique et de la solution, car s’il ne fallait retenir que deux éléments d’un arrêt, ce seraient ceux-là) ;
  2. Parce que la fiche d’arrêt sert d’ossature à l’introduction du commentaire d’arrêt.

Il serait très difficile d’énumérer exhaustivement toutes les conventions d’usage applicables à la rédaction d’une fiche d’arrêt, d’autant plus que celles-ci varient parfois d’une université à l’autre, voire d’un enseignant à l’autre. Je tenterai par conséquent dans ce billet de rappeler les principales règles, celles qui font en général consensus.

Fiche arret

Pour illustrer cette méthodologie de la fiche d’arrêt, j’utiliserai un arrêt de rejet rendu le 14 septembre 2016 par la chambre sociale de la Cour de cassation (n° 15-11.386). Les faits de cet arrêt sont suffisamment simples pour être compris par des étudiants de première année :

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 septembre 2014), que la société Renault applique dans ses établissements situés en Ile-de-France des barèmes de rémunération supérieurs à ceux qu’elle applique au sein de son établissement de Douai ; que dénonçant l’atteinte portée au principe de l’égalité de traitement, le syndicat Sud Renault a saisi un tribunal de grande instance ;
Attendu que le syndicat fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, qu’il ne peut y avoir de différence de traitement entre salariés d’établissements différents d’une même entreprise exerçant un travail égal ou d’égale valeur que si elles reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ; qu’en l’absence d’élément objectif tenant à l’activité ou aux conditions de travail présenté par l’employeur propre à justifier les différences de traitement observées entre les établissements d’une entreprise, ce dernier ne peut valablement justifier lesdites différences par la différence de niveaux de vie existant entre les bassins d’emploi dans lesquels sont situés ces établissements ; qu’en l’espèce, pour considérer que l’existence de barèmes de rémunération différents entre les établissements de région parisienne de la société Renault et celui de Douai était justifiée, la cour d’appel a retenu que la différence de coût de la vie entre l’environnement proche de l’usine de Douai et celui des usines franciliennes était parfaitement établie ; qu’en statuant par ce motif inopérant, la cour d’appel a violé le principe « A travail égal, salaire égal » ;
Mais attendu qu’une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés relevant d’établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ;
Et attendu qu’ayant constaté que la disparité du coût de la vie invoquée par l’employeur pour justifier la différence de traitement qu’il avait mise en place entre les salariés d’un établissement situé en Ile-de-France et ceux d’un établissement de Douai était établie, la cour d’appel en a exactement déduit que cette différence de traitement reposait sur une justification objective pertinente ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

Structure de la fiche d’arrêt

La fiche d’arrêt se divise en plusieurs parties : résumé des faits de l’espèce, résumé de la procédure, problématique de l’arrêt, solution de l’arrêt.

Il est d’usage de matérialiser chaque partie de la fiche en commençant un nouveau paragraphe et en écrivant le nom de cette partie au début de ce paragraphe, suivi de deux points, encore que certains enseignants pourront préférer que les parties ne soient pas matérialisées par un intitulé afin de se rapprocher de ce qui sera l’introduction du commentaire d’arrêt (la fiche d’arrêt constitue la base de l’introduction du commentaire d’arrêt).

Faits : …
Procédure : …
Problématique : …
Solution : …

Le résumé des faits

Comme son nom l’indique, il s’agit de… résumer les faits. Les faits s’entendent ici de la matière litigieuse, des données qui ont fait naître le contentieux. Il faut résumer ces faits, de préférence de manière chronologique, en s’arrêtant juste avant la saisine d’une juridiction, qui fera l’objet de la deuxième étape de la fiche. La Cour de cassation ne résume pas toujours les faits de manière chronologique, dans ce cas ce sera à l’étudiant de réorganiser la présentation des faits afin qu’elle soit faite de manière chronologique. Il est parfois possible de recopier des passages du résumé des faits tel qu’il figure dans l’arrêt de la Cour de cassation, mais il est rarement possible de le recopier intégralement : cela entraînera très probablement des problèmes de syntaxe, en plus des problèmes de chronologie précédemment évoqués. De manière générale, il est toujours préférable de reformuler, dans la mesure du possible, car si l’étudiant se contente de recopier l’arrêt, le correcteur ne sera pas en mesure de vérifier qu’il l’a compris.

Il existe deux règles essentielles pour l’énoncé des faits.

D’abord, l’étudiant doit faire un tri dans les faits pour ne garder que les éléments strictement nécessaires à la compréhension de l’arrêt et du problème de droit. Il faut veiller, cependant, à ne pas omettre certains éléments qui auraient une incidence sur le problème de droit ou sa solution, en sachant que la Cour de cassation effectue déjà une sélection très stricte dans son résumé des faits. C’est ici la capacité de l’étudiant à ne retenir que les éléments pertinents, mais tous les éléments pertinents, qui sera jugée.

Ensuite, les parties doivent être qualifiées juridiquement, trop d’étudiants l’oublient ! Cela signifie qu’il ne faut pas faire figurer dans la fiche d’arrêt les noms propres des protagonistes ou leurs versions anonymisées (M. X…, Mme Y…, etc.), mais il faut les qualifier juridiquement. On parlera ainsi de vendeur, d’acquéreur, de bailleur, de preneur, d’emprunteur, de prêteur, de promettant, de bénéficiaire, de créancier, de débiteur, de responsable, de victime, de solvens, d’accipiens, d’époux, d’épouse, de père, de mère, etc. Sauf si la partie impliquée est très connue (par exemple l’EFS) ou a une importance pour la compréhension de l’arrêt (par exemple un arrêt relatif à l’appréciation de la force majeure à l’égard de la SNCF), on ne doit pas retrouver son nom dans la fiche d’arrêt, mais seulement sa qualité. Il n’y a aucun intérêt à parler de M. X… ou de Mme Y…, car la problématique et la solution de l’arrêt ne seront pas propres à M. X… et à Mme Y…, mais s’attacheront à leurs qualités juridiques.

Naturellement, avant d’utiliser la qualification d’une partie, il faudra bien souvent introduire cette qualité. Par exemple, on n’écrira pas « une victime est blessée au cours d’un match de rugby par un responsable », mais « un joueur est blessé au cours d’un match de rugby par un membre de l’équipe adverse. La victime assigne l’auteur du dommage en responsabilité ». Pour que l’on puisse parler de victime, il faut d’abord qu’il y ait un dommage ; pour que l’on puisse parler de responsable, il faut d’abord que les conditions de sa responsabilité soient établies. Il ne faut pas inverser l’ordre logique des évènements. Une fois la partie qualifiée, on la désignera dans le reste du devoir par sa qualité juridique.

Enfin, en ce qui concerne le temps employé, il est possible d’utiliser le passé ou le présent, mais il faudra être attentif à la concordance des temps.

Pour notre arrêt de 2016, voici ce que cela donnerait :

Faits : une société applique aux salariés de ses établissements situés en Ile-de-France des rémunérations supérieures à celles appliquées aux salariés de son établissement de Douai, pour des fonctions pourtant identiques. Un syndicat estime que cela constitue une atteinte au principe de l’égalité de traitement.

La procédure

Une fois les faits énoncés, l’assignation par le demandeur doit être la suite logique des évènements. Si l’assignation a déjà été évoquée, c’est que l’étudiant a commencé à parler de la procédure dans la partie consacrée au résumé des faits. A contrario, s’il manque des éléments pour comprendre pourquoi une personne en assigne une autre, c’est probablement que le résumé des faits est incomplet.

Comme pour l’énoncé des faits, il faut ici veiller à qualifier les parties. L’étudiant sera particulièrement vigilant à la terminologie employée, notamment:

  • Les juges du premier degré rendent des jugements ;
  • La cour d’appel et la Cour de cassation rendent des arrêts ;
  • Une partie interjette appel ;
  • Une partie se pourvoit en cassation ou forme un pourvoi en cassation ;
  • La cour d’appel confirme/infirme le jugement, elle rend un arrêt confirmatif/infirmatif ;
  • La Cour de cassation casse l’arrêt ou rejette le pourvoi ;
  • Les parties à l’instance sont le demandeur/la demanderesse (et non pas la demandeuse) et le défendeur/la défenderesse (et non pas le défenseur, qui est l’avocat) ;
  • Devant la cour d’appel, les parties sont l’appelant et l’intimé ;
  • Devant la Cour de cassation, on parle de demandeur au pourvoi (et non pas de pourvoyeur) et de défendeur au pourvoi.

Il faut aussi être vigilant à l’emploi des majuscules dans le nom des institutions, il y a des règles précises, à ce sujet on pourra consulter utilement cet article. On peut citer ici les noms les plus utilisés : une cour d’appel, la cour d’appel de Paris(1), assemblée plénière de la Cour de cassation, Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Tribunal des conflits, Gouvernement (si on vise l’organe de l’Etat français composé de ministres ; sans majuscule si on utilise le nom de manière générique), Assemblée nationale, Sénat, Code civil/de commerce/de la consommation, etc.

La procédure doit être décrite de manière chronologique (les exemples utilisés sont fictifs) :

  1. Assignation : « la victime assigne l’auteur du dommage en responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil »
  2. Jugement en première instance : « les juges du premier degré rejettent la demande »
  3. Une partie interjette appel : « la victime interjette appel »
  4. Arrêt de la cour d’appel avec ses références et ses motifs : « la cour d’appel de Paris confirme le jugement dans un arrêt du 23 mars 2003, elle retient que l’auteur du dommage n’était pas doué de discernement et que sa responsabilité ne pouvait par conséquent pas être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil »
  5. Une partie se pourvoit en cassation (avec les moyens du pourvoi) : « la victime se pourvoit en cassation, elle soutient que la faculté de discernement de l’auteur du dommage n’est pas une condition nécessaire à l’engagement de sa responsabilité ». Un pourvoi se décompose en moyens, chaque moyen attaquant un chef du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel. Par exemple, si la cour d’appel condamne solidairement deux responsables à indemniser la victime puis prévoit une répartition de la charge finale de la dette par parts viriles, le responsable qui se pourvoit en cassation pourra contester dans un premier moyen sa condamnation à indemniser la victime, puis dans un second moyen la répartition retenue pour la contribution à la dette. Enfin, chaque moyen peut se subdiviser en plusieurs branches, chaque branche correspondant à un argument attaquant le chef de dispositif critiqué par le moyen.

En pratique, il est rare que tous les éléments que l’on vient d’énumérer figurent dans l’arrêt de la Cour de cassation. En effet, les juges du quai de l’Horloge effectuent déjà un tri extrêmement sélectif. Le jugement de première instance est ainsi rarement évoqué, puisque c’est l’arrêt de la cour d’appel qui est attaqué. En outre, en principe, seuls les moyens du pourvoi rejeté sont mentionnés dans les arrêts de rejet et seuls les motifs critiqués de l’arrêt d’appel sont repris dans les arrêts de cassation. Dans ce cas, il est évident que le correcteur ne s’attendra pas à retrouver dans l’introduction des éléments que l’étudiant n’est pas en mesure de trouver dans l’arrêt.

L’étudiant veillera enfin à ne pas confondre pourvoi, arrêt de la cour d’appel et solution de la Cour de cassation. C’est une erreur bien souvent rédhibitoire qui entraînera une mauvaise compréhension de l’arrêt et donc des contresens.

Les éléments à retenir pour retranscrire la procédure étant très nombreux, voyons ce que cela donnerait en pratique avec notre arrêt de 2016 (les éléments figurants en vert entre crochets sont des commentaires ajoutés par mes soins pour expliquer chaque étape). Il ne faut pas hésiter à faire un nouveau paragraphe pour chaque étape majeure de la procédure, la fiche n’en sera que plus claire) :

Procédure : le syndicat assigne la société devant le tribunal de grande instance pour atteinte au principe de l’égalité de traitement. [Dans cet arrêt, il n’est pas précisé quel était l’objet exact de la demande du syndicat (dommages-intérêts ? annulation des barèmes de rémunération de l’établissement de Douai ?…]

Une décision est rendue en première instance puis un appel est interjeté. [Dans cet arrêt, aucune information n’est donnée quant à la décision rendue en première instance ; toutefois, puisqu’une cour d’appel a été saisie, les étudiants doivent savoir qu’une décision a nécessairement été préalablement rendue en première instance.]

La cour d’appel de Douai rejette la demande du syndicat par un arrêt rendu le 30 septembre 2014. [On a la date de l’arrêt de la cour d’appel dans cette partie de l’arrêt de la Cour de cassation : « Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 septembre 2014) » ; on sait que l’arrêt d’appel a rejeté la demande du syndicat dans cette autre partie de l’arrêt de la Cour de cassation : « Attendu que le syndicat fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes ». Ce même passage nous indique que c’est le syndicat qui a formé un pourvoi en cassation.]

Le syndicat se pourvoit en cassation. Il soutient que la cour d’appel a violé le principe « à travail égal, salaire égal » en retenant que la différence du coût de la vie entre la ville de Douai et l’Île-de-France pouvait justifier une différence de salaire. En effet, selon le syndicat, une différence de traitement entre salariés ne peut être justifiée que par des raisons objectives liées à l’activité ou aux conditions de travail, ce qui ne serait pas le cas de la différence du coût de la vie selon la zone géographique. [On a pris soin, ici, de reformuler l’argumentation du moyen du pourvoi pour 1) montrer qu’on l’a bien comprise et 2) la résumer. Il faut, dans la mesure du possible, éviter de recopier l’arrêt.]

S’agissant en l’espèce d’un arrêt de rejet, la Cour de cassation a reproduit les moyens du pourvoi, mais pas les motifs de l’arrêt de la cour d’appel. Les motifs de l’arrêt d’appel peuvent souvent être déduits du moyen du pourvoi : la cour d’appel semble avoir jugé que « l’existence de barèmes de rémunération différents entre les établissements de région parisienne de la société Renault et celui de Douai était justifiée », car « la différence de coût de la vie entre l’environnement proche de l’usine de Douai et celui des usines franciliennes était parfaitement établie ». Il existe toutefois un risque à se fier au pourvoi pour connaître les motifs de l’arrêt d’appel : l’objectif du pourvoi est d’obtenir une cassation de l’arrêt d’appel, il peut donc arriver que l’avocat aux Conseils qui a rédigé le mémoire ampliatif ait légèrement modifié les motifs de l’arrêt d’appel pour les tourner à son avantage. Il est donc préférable, dans cette hypothèse, de ne pas se fonder sur les moyens du pourvoi pour déduire les motifs de l’arrêt d’appel.

Il était également possible, en l’espèce, de se fonder sur le conclusif de l’arrêt pour en déduire les motifs de l’arrêt d’appel. Le « conclusif » est la partie de l’arrêt dans laquelle la Cour de cassation énonce sa solution. Dans l’un des deux attendus du conclusif de l’arrêt de 2016, on peut lire qu’ « ayant constaté que la disparité du coût de la vie invoquée par l’employeur pour justifier la différence de traitement qu’il avait mise en place entre les salariés d’un établissement situé en Ile-de-France et ceux d’un établissement de Douai était établie, la cour d’appel en a exactement déduit que cette différence de traitement reposait sur une justification objective pertinente ». On peut donc en déduire que la cour d’appel a rejeté la demande au motif qu’il existe une disparité du coût de la vie entre Douai et l’Île-de-France et qu’il s’agit d’un élément objectif justifiant une différence de traitement. Certains enseignants considèrent, dans cette hypothèse, qu’il faut indiquer les motifs de l’arrêt d’appel dès le stade de la procédure dans la fiche d’arrêt. D’autres considèrent qu’il ne faut les mentionner qu’au stade de la solution de la Cour de cassation (ce que nous ferons ici).

La problématique

On connait les arguments de la cour d’appel (les motifs de son arrêt qui fondent le chef de dispositif critiqué) et/ou les arguments du demandeur au pourvoi (à travers les moyens de son pourvoi), on peut donc désormais en déduire le problème de droit qui se pose aux magistrats de la Cour de cassation.

La question de droit doit être déduite du pourvoi et/ou de l’arrêt de la cour d’appel et non pas induite de la solution de la Cour de cassation. En effet, il arrive – même si c’est relativement rare – que la Cour de cassation ne réponde pas au problème qui était soulevé par le pourvoi (dit vulgairement, elle « répond à côté de la plaque »), ou se prononce ultra petita (« au-delà de la demande », sous forme d’obiter dictum), ce qui aura alors une importance dans l’analyse de l’arrêt. Or la seule façon de détecter cet écart entre la question posée et la réponse apportée est de déduire la question du pourvoi et de l’arrêt d’appel et non pas de l’induire de la solution… Pour ne pas se tromper, l’étudiant peut se mettre à la place des magistrats de la Haute juridiction lorsque ceux-ci sont saisis du pourvoi. Il va de soi que ces derniers ne peuvent pas induire la question de droit de la solution, puisqu’ils ne pourront donner la solution qu’après avoir déterminé la question qui leur est posée…

Une fois la problématique cernée, il faut savoir comment la rédiger. Malheureusement, les règles de forme sur ce point varient sensiblement d’une matière à l’autre et d’un enseignant à l’autre. Cependant, on peut dégager quelques règles qui, à défaut de faire consensus, semblent majoritairement admises, au moins en droit privé.

Tout d’abord, comme son nom l’indique, il s’agit d’une question de droit et non pas de fait. Si les juridictions du fond jugent en droit et en fait, la Cour de cassation, elle, ne juge en principe que du droit, sa mission étant d’unifier l’application du droit sur le territoire français. La Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction, mais une cour suprême(2). Ainsi, par exemple, il importe peu à la Cour de cassation de savoir s’il existe réellement des différences de traitement entre les salariés de Douai et les salariés d’Île-de-France, c’est aux juges du fond de le dire. En revanche, la question de savoir si cette différence de traitement est légale est une question qui peut être posée à la Cour de cassation. La question doit donc être formulée en des termes les plus juridiques possibles, en s’extrayant le plus possible des éléments factuels de l’espèce. La difficulté est toutefois de bien placer le curseur entre le droit et le fait, car il peut arriver que la question juridique posée à la Cour de cassation porte sur un cas de figure très particulier, de sorte qu’il faille faire figurer des éléments factuels dans la question de droit.

Ensuite, la question doit être abstraite, c’est-à-dire qu’elle doit garder son sens une fois extraite de son contexte. Autrement dit, un juriste qui ne connait pas les faits de l’arrêt doit être en mesure de comprendre la problématique. Une problématique du type « le syndicat peut-il demander la condamnation de l’employeur à payer des dommages-intérêts ? » est donc à proscrire. Cette question n’a aucun sens une fois extraite de son contexte : de quel syndicat parle-t-on ? de quel employeur ? quel est le fondement de la demande de dommages-intérêts ?

La problématique doit être la plus concise possible, mais elle doit également être complète, suffisamment précise. Par exemple, en l’espèce, une question du type « un employeur peut-il fixer des barèmes de rémunération différents pour des salariés qui fournissent un travail identique ? » serait incorrecte. En effet, la question porte plus précisément sur la possibilité de fonder la différence de rémunération sur l’existence d’une différence du coût de la vie : cet élément doit figurer dans la problématique.

Enfin, on préfèrera une véritable question de droit, c’est-à-dire posée sous la forme interrogative directe et donc se terminant par un point d’interrogation. Il s’agit cependant de l’un des points les plus contestés, certains enseignants acceptant les problématiques posées sous la forme interrogative indirecte, voire exigeront qu’elles soient formulées de la sorte. Quoi qu’il en soit, la problématique doit être rédigée en bon français. Par conséquent, un mélange des formes interrogatives directe et indirecte est à proscrire : « la question est de savoir si une différence de traitement peut-elle être justifiée par une différence du coût de la vie ? » (la syntaxe n’est pas correcte).

Mettons encore une fois tout cela en pratique avec notre arrêt de 2016 :

Problématique : Une différence du coût de la vie peut-elle justifier l’application, par un employeur, de deux barèmes de rémunération différents aux salariés de deux établissements distincts ?

Il y a souvent plusieurs façons valables de formuler la problématique d’un arrêt. Par exemple, en l’espèce, il était possible d’adopter une question de droit un peu plus précise :

Problématique : Une différence du coût de la vie est-elle une raison objective qui peut justifier l’application, par un employeur, de deux barèmes de rémunération différents aux salariés de deux établissements distincts ?

La solution

Le problème soulevé par le pourvoi appelle logiquement une réponse de la Cour de cassation. C’est l’élément le plus important de la fiche d’arrêt, celui qu’il faut retenir lors de ses révisions (avec la problématique). Il faut donc montrer que la solution a bien été comprise.

S’il existe un attendu de principe, c’est-à-dire une règle énoncée par la Cour de cassation en des termes généraux, le mieux est de le recopier intégralement, entre guillemets. A défaut, il faudra faire un effort de généralisation pour dégager une réponse à la question de droit soulevée qui se détache des particularités de l’espèce : la question de droit doit être générale et abstraite, la réponse doit l’être également.

Une fois la solution posée en des termes généraux, il faudra préciser pourquoi l’arrêt de la cour d’appel a été cassé ou pourquoi le pourvoi a été rejeté eu égard à la solution énoncée. Autrement dit, il faut appliquer la solution générale aux faits particuliers de l’espèce pour expliquer la cassation ou le rejet. Cette étape est particulièrement importante si la réponse à la question de droit figure dans un attendu de principe que l’étudiant s’est contenté de recopier entre guillemets : c’est au moment d’expliquer comment la solution a été appliquée par la Cour de cassation au cas d’espèce que l’enseignant pourra vérifier si l’étudiant a bien compris cette solution.

Au stade de la fiche d’arrêt, on n’exige aucune analyse de fond de la solution, ce sera l’objet d’un autre exercice, le commentaire d’arrêt. En revanche, il faut mentionner toutes les informations utiles se rapportant à la solution que l’on peut dégager des seuls éléments de technique de cassation. Par exemple, si l’arrêt comporte un visa (c’est en principe jamais le cas dans les arrêts de rejet, mais cela peut-être le cas dans les arrêts de cassation), il faudra mentionner que la Cour de cassation rend sa solution au visa de tel(s) texte(s) ; si la solution est formulée dans un attendu de principe, alors il faudra l’indiquer ; si le type de contrôle effectué par la Cour de cassation peut être déduit de l’arrêt, il sera également utile de le mentionner. Pour identifier le type de contrôle opéré, on consultera l’article très complet de Jean-François Weber disponible sur le site de la Cour de cassation (ce dernier point n’est en principe pas attendu des étudiants de première année, car il nécessite une maîtrise de la technique de cassation qui implique un certain recul sur le système judiciaire français).

Enfin, il faut bien sûr indiquer si le pourvoi est rejeté ou l’arrêt de la cour d’appel cassé.

Pour notre arrêt de 2016 cela donnerait :

Solution (rejet) : la chambre sociale énonce, dans un attendu de principe, « qu’une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés relevant d’établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » et elle juge que la disparité du coût de la vie est une raison objective de nature à justifier une différence de traitement. Le pourvoi est donc rejeté, au terme d’un contrôle lourd, puisque la cour d’appel de Douai a constaté qu’il existait une disparité du coût de la vie entre Douai et l’Île-de-France qui justifiait la différence de traitement mise en place par l’employeur entre les salariés des établissements de ces deux zones géographiques.

Dans cet arrêt, le contrôle lourd est identifiable à l’emploi de l’expression « a exactement déduit que » dans le conclusif(3).

Illustration finale

Mettons maintenant bout à bout les différentes parties de notre fiche de l’arrêt du 14 septembre 2016 utilisé pour illustrer ce billet :

Faits : une société applique aux salariés de ses établissements situés en Ile-de-France des rémunérations supérieures à celles appliquées aux salariés de son établissement de Douai, pour des fonctions pourtant identiques. Un syndicat estime que cela constitue une atteinte au principe de l’égalité de traitement.

Procédure : le syndicat assigne la société devant le tribunal de grande instance pour atteinte au principe de l’égalité de traitement.

Une décision est rendue en première instance puis un appel est interjeté.

La cour d’appel de Douai rejette la demande du syndicat.

Le syndicat se pourvoit en cassation. Il soutient que la cour d’appel a violé le principe « à travail égal, salaire égal » en retenant que la différence du coût de la vie entre la ville de Douai et l’Île-de-France pouvait justifier une différence de salaire. En effet, selon le syndicat, une différence de traitement entre salariés ne peut être justifiée que par des raisons objectives liées à l’activité ou aux conditions de travail, ce qui ne serait pas le cas de la différence du coût de la vie selon la zone géographique.

Problématique : Une différence du coût de la vie est-elle une raison objective qui peut justifier l’application, par un employeur, de deux barèmes de rémunération différents aux salariés de deux établissements distincts ?

Solution (rejet) : la chambre sociale énonce, dans un attendu de principe, « qu’une différence de traitement établie par engagement unilatéral ne peut être pratiquée entre des salariés relevant d’établissements différents et exerçant un travail égal ou de valeur égale, que si elle repose sur des raisons objectives, dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence » et elle juge que la disparité du coût de la vie est une raison objective de nature à justifier une différence de traitement. Le pourvoi est donc rejeté, au terme d’un contrôle lourd, puisque la cour d’appel de Douai a constaté qu’il existait une disparité du coût de la vie entre Douai et l’Île-de-France qui justifiait la différence de traitement mise en place par l’employeur entre les salariés des établissements de ces deux zones géographiques.

Cette méthode n’a pas la prétention d’être exhaustive ou parfaite mais, appliquée, elle devrait en général garantir une bonne note. Je dis en général, parce que la méthodologie peut varier d’un enseignant à l’autre, les différences sont souvent minimes mais réservent parfois des surprises.

L’arrêt utilisé dans ce billet pour illustrer la méthode de la fiche d’arrêt est un arrêt de rejet. J’ai par ailleurs rédigé une fiche d’arrêt annotée étape par étape en prenant cette fois pour exemple un arrêt de cassation.

La fiche d’arrêt est la base de l’introduction du commentaire d’arrêt. Les étudiants intéressés peuvent consulter ma méthodologie consacrée plus spécifiquement à l’introduction du commentaire d’arrêt.

Notes de bas de page :
  1. Ce point est discuté, certains auteurs considèrent qu’il n’existe qu’une seule cour d’appel de Paris en France et qu’il s’agit donc d’une institution unique qui doit prendre une majuscule. Il me semble que les typographes considèrent majoritairement que seules les institutions qui ont une portée nationale doivent prendre une majuscule, ce qui n’est pas le cas des cours d’appel. On ne mettra donc jamais de majuscule à « cour d’appel », c’est cet usage typographique qui est notamment retenu par l’éditeur Dalloz et par la Cour de cassation pour la rédaction de ses arrêts. []
  2. Encore que la qualification de « cour suprême » soit discutée. []
  3. V. l’article de Jean-François Weber précité. []

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