Obs. sous Cass. com., 3 mai 2012 (n° 11-17.779 ; D. 2012, p. 1719, note A. Étienney de Sainte-Marie ; JCP G 2012, 901, note A. Hontebeyrie ; RLDC 2012, n° 95, p. 14, obs. E. Pouliquen) :
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 3 mai 2012 un arrêt très énigmatique. La solution se situe au confluent de deux débats doctrinaux animés par une jurisprudence incertaine, la question de la nature et des effets de la résiliation unilatérale consacrée par l’arrêt Tocqueville (civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 ; RTD Civ. 1999, p. 506, obs. J. Raynard ; D. 1999, p. 197, note C. Jamin) d’une part, la question de la survie de certaines clauses à la résolution du contrat pour inexécution d’autre part.
En l’espèce, en substance, deux sociétés ont conclu un contrat de service le 2 janvier 2007. Dès le début de l’année 2008, le créancier conteste la qualité des prestations réalisées et retient ses paiements. Le contrat est « interrompu » (sic) sans préavis le 30 juillet 2012 par lettre du groupe dont fait partie la société créancière, puis par lettre de cette dernière le 12 septembre 2008.
Le contrat contenait une clause intitulée « résiliation anticipée » et rédigée en ces termes : « en cas de résiliation anticipée du contrat de manière unilatérale par GFI Monetic [le créancier de la prestation de services], quel qu’en soit le motif, et sauf si ladite résiliation anticipée est causée par une faute constituant une infraction pénale de la société Mansit [le débiteur de la prestation de services] dans le cadre du contrat, celle-ci devra être signifiée à la société Mansit par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six mois. De plus, la société Mansit percevra en dédommagement une indemnité d’un montant équivalent à cent jours de facturation ». La société débitrice se fonde sur cette stipulation pour assigner la société créancière en paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation et de préavis de 300 000 euros hors taxes. Il y a ici un paradoxe évident à ce que le débiteur responsable de l’inexécution demande le paiement d’une indemnité au créancier du fait de sa résiliation, comme si les positions étaient inversées.
La Cour d’appel de Paris déboute la société débitrice de ses demandes au terme d’une motivation très ambiguë : « la gravité des manquements [de la société débitrice] à ses obligations envers la société SAS GFI Monetic justifi[ait] l’exception d’inexécution dont cette dernière s’est prévalue pour mettre fin au contrat et, en conséquence, la résolution pour inexécution du contrat, aux torts exclusifs de la SAS Mansit, en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil. La gravité du comportement de la SAS Mansit, tel qu’il a été exposé ci-dessus, justifiait que la SAS GFI Monetic ait mis fin au contrat de façon unilatérale, le 30 juillet 2008, à ses risques et périls. (…) La résolution pour inexécution du contrat entraîne son anéantissement et donc la disparition des clauses de ce contrat sur lesquelles la SAS Mansit ne peut plus se fonder. Celle-ci ne peut donc se prévaloir de l’article 6 du contrat, concernant la résiliation anticipée ». Cette motivation est ambiguë car elle donne l’impression d’être un condensé de tous les mécanismes envisageables, comme si l’accumulation de fondements rendait la motivation moins soumise à la critique. On retrouve ainsi dans ces motifs l’exception d’inexécution qui aurait « mis fin » (sic) au contrat, la résolution pour inexécution de l’article 1184 du Code civil, et enfin l’attendu de principe de l’arrêt Tocqueville selon lequel la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.
L’arrêt de rejet de la Cour de cassation aurait pu être l’occasion de mettre un peu d’ordre dans ces motifs, malheureusement il n’en est rien. La solution est approuvée, les fondements restent énigmatiques. La première branche de l’unique moyen ne sera pas commentée ici car elle ne concerne pas le sujet qui nous intéresse. C’est la seconde branche du moyen qui présente un véritable intérêt : « les clauses aménageant à l’avance la rupture anticipée d’un contrat ont vocation à s’appliquer en cas de résolution ou résiliation judiciaires de celui-ci ». Ce à quoi la Haute juridiction répond « qu’ayant retenu que la gravité des manquements de la société Mansit justifiait la résolution du contrat aux torts exclusifs de cette dernière, en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le contrat résolu étant anéanti, la société Mansit n’était pas fondée à se prévaloir des stipulations contractuelles régissant les conditions et les conséquences de sa résiliation unilatérale par la société GFI Monetic ».
Plusieurs interprétations de cette solution sont possibles. L’une d’entre elles consisterait à conférer une portée générale à la formule selon laquelle « le contrat résolu étant anéanti, la société Mansit n’était pas fondée à se prévaloir des stipulations contractuelles ». Cet arrêt serait alors à rapprocher d’un autre, rendu le 5 octobre 2010 par la même chambre, dans lequel on pouvait lire que « la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer les clauses limitatives de responsabilité » (n° 08-11.630, inédit ; JCP G 2011, 63, obs. P. Grosser ; RDC 2011/2, p. 431, note T. Genicon). Cet arrêt avait été unanimement critiqué, la doctrine ayant toujours considéré que les clauses régissant les effets de l’inexécution et de la résolution avaient vocation à survivre à cette dernière, à l’exclusion de celles qui mettent en œuvre une exécution par équivalent, le créancier devant choisir entre la résolution et l’exécution du contrat. Si cet arrêt de 2012 confirme et même étend le principe affirmé dans l’arrêt de 2010 à toutes les clauses du contrat sans distinction, alors il a de quoi inquiéter. Il existe heureusement des raisons d’en douter.
L’ambiguïté des motifs de l’arrêt d’appel non levée par le conclusif de l’arrêt de la Cour de cassation laisse suffisamment de marge à l’interprète pour esquisser d’autres hypothèses plausibles. Même si certains auteurs considèrent que la distinction entre « résiliation » et « résolution » est galvaudée, y compris par la Cour de cassation (J. Dupichot, Gaz. Pal., 1983, 1, Doctr. 215, obs. sous com. 9 déc. 1981), il est fort probable que l’utilisation de ces deux termes distincts dans un même attendu ne soit pas anodin et ait une signification dans l’esprit des hauts magistrats. Le contrat a été « résolu », « en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil », il n’y a donc pas lieu d’appliquer la stipulation contractuelle qui avait vocation à « régir les conditions et les conséquences de la résiliation unilatérale ». Autrement dit la clause avait pour objet la résiliation unilatérale, non la résolution judiciaire, elle n’a donc pas vocation à survivre à cette dernière.
Ce à quoi l’on pourrait rétorquer deux arguments. D’abord, la résiliation unilatérale ne serait-elle pas qu’une forme d’application extrajudiciaire de l’article 1184 du Code civil que l’on aurait amputé de son dernier alinéa ? Le régime de la résiliation unilatérale est encore très incertain, mais les arrêts rendus en la matière par la Cour de cassation semblent indiquer que la résiliation unilatérale est dépourvue d’effet rétroactif, ce qui transparait dans l’expression peu juridique « mettre fin au contrat » employée de manière récurrente depuis l’arrêt Tocqueville (en ce sens, T. Genicon, « Point d’étape sur la rupture unilatérale du contrat aux risques et périls du créancier », RDC 2010, p. 44). Mettre fin au contrat, c’est « mettre un terme anticipé à la relation contractuelle » (ibid.). L’image selon laquelle la résiliation unilatérale ne serait qu’une « sorte de prolongement renforcé de l’exception d’inexécution » a également pu être utilisée (A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 12e éd., n° 393), ce n’est peut-être pas un hasard si la cour d’appel retient que le créancier « s’est prévalu [de l’exception d’inexécution] pour mettre fin au contrat ».
Mais vient alors un second argument, si la cour d’appel a jugé que le créancier avait « mis fin au contrat de façon unilatérale, le 30 juillet 2008, à ses risques et périls », et si la résiliation unilatérale ne produit pas d’effet rétroactif, pourquoi le contrat a-t-il été anéanti rétroactivement en l’espèce, emportant avec lui la clause de résiliation anticipée ? Peut-être parce que la résiliation unilatérale extrajudiciaire s’est doublée en l’espèce d’une résolution judiciaire fondée sur l’article 1184 du Code civil. Dès lors que la gravité du comportement du débiteur justifie que le créancier mette fin unilatéralement au contrat, ce comportement devrait justifier a fortiori une résolution judiciaire du contrat pour inexécution. Cette analyse est renforcée par la formule « en conséquence » employée par la cour d’appel : « la gravité des manquements à ses obligations envers la SAS GFI Monetic justifi[ait] l’exception d’inexécution dont cette dernière s’est prévalue pour mettre fin au contrat et, en conséquence, la résolution pour inexécution du contrat (…) en application des dispositions de l’article 1184 du code civil ».
Le cheminement intellectuel serait ainsi le suivant : l’exception d’inexécution permet au créancier de mettre fin unilatéralement au contrat de manière non rétroactive, mais la saisine du juge permet d’apporter le caractère rétroactif qui fait défaut à la résiliation unilatérale, et ce par l’application de l’article 1184. L’assimilation du droit général pour une partie d’anéantir rétroactivement un contrat sans recourir au juge serait très difficile pour un droit français qui ne tolère les moyens de justice privée que de manière marginale, sans compter l’insécurité juridique que cela créerait vis-à-vis des tiers -sauf à considérer que l’effet rétroactif ne joue qu’inter partes– et les difficultés liées aux restitutions. Il parait donc plus prudent de considérer que le créancier a seulement le pouvoir de mettre fin au contrat pour l’avenir, pouvoir que l’on pourrait qualifier de « droit de résiliation unilatérale ». Une fois ce droit exercé, le débiteur pourrait alors saisir le juge s’il estime la résiliation abusive (contrôle a posteriori), mais le créancier le pourrait également, pour obtenir la résolution judiciaire du contrat, s’il souhaite in fine que le contrat ne soit pas seulement « interrompu » mais anéanti rétroactivement. Dans ce dernier cas de figure, la résiliation unilatérale extrajudiciaire ne serait qu’une mesure provisoire, transitoire, conversatoire, ce qui correspond bien à l’idée de « prolongement renforcé de l’exception d’inexécution » exprimée par A. Bénabent (op. cit.).
L’arrêt de la Cour de cassation est parfaitement compatible avec cette analyse. Le conclusif répondant à la seconde branche du moyen semble distinguer la résolution judiciaire (1184) de la résiliation unilatérale. En l’espèce il y a bien eu résiliation unilatérale dans un premier temps, mais une résolution judiciaire lui a succédé. La résolution judiciaire opérant rétroactivement, elle efface la résiliation unilatérale qui devient sans objet (on ne peut résilier un contrat qui n’existe pas) et, tel un jeu de dominos qui s’effondre, elle emporte avec elle la stipulation contractuelle régissant les conditions et les conséquences de la résiliation unilatérale qui devient à son tour, ipso jure, sans objet.
Cet arrêt soulève tellement d’interrogations et la jurisprudence offre si peu d’éléments de réponse à l’heure actuelle que l’on risque de se perdre en conjectures. On aurait par exemple également pu s’attarder sur le fait qu’il parait inique que le débiteur responsable de l’inexécution puisse se prévaloir d’une clause lui attribuant une indemnité en cas de résiliation, ce qui a peut-être influé sur la solution. La seule prétention de ces quelques observations est par conséquent de démontrer qu’il est probablement encore trop tôt pour affirmer que, selon la Cour de cassation, la résolution du contrat emporterait avec elle la disparition de toutes les clauses dudit contrat. On ne dispose pour l’instant que de cet arrêt de 2012 au sens très incertain, et de l’arrêt du 5 octobre 2010 déjà évoqué à la portée très incertaine. A propos de ce dernier, le rapport du conseiller rapporteur me fait penser qu’il relève plutôt d’un malentendu. Le conseiller rapporteur conclut en effet que « le moyen invite donc la Cour de cassation à changer sa jurisprudence concernant l’effet rétroactif de la résolution judiciaire d’un contrat », les hauts magistrats ont donc vraisemblablement rejeté le moyen en pensant aller dans le sens d’une jurisprudence constante, d’où l’absence de publication, alors que la solution est en réalité révolutionnaire sur le fond. Les hauts magistrats n’ont donc probablement pas eu la volonté d’opérer un revirement de jurisprudence dans cet arrêt inédit de 2010.
L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous.
Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du jeudi 3 mai 2012
N° de pourvoi: 11-17779
FS-P+BSur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 31 mars 2011), que la société Management systèmes bancaires et iInterbancaires et technologies (la société Mansit) a conclu le 2 janvier 2007 avec la société GFI Monetic un contrat de prestation de services d’assistance à la stratégie de développement ultérieurement étendu à l’assistance à la gestion des ressources humaines de cette dernière ; que contestant la nature et la qualité des prestations réalisées dès le début de l’année 2008 au titre de ce contrat, la société GFI Monetic, désormais dénommée la société Galitt Monetic, a retenu ses paiements ; que le contrat a été interrompu sans préavis par lettre du groupe GFI informatique dont fait partie la société GFI Monetic puis par lettre de cette dernière ; que la société Mansit a assigné la société GFI Monetic en paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation et de préavis, de factures impayées et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d’image ;
Attendu que la société Mansit fait grief à l’arrêt de la débouter de l’intégralité de ses demandes après avoir constaté la résolution, au 30 juillet 2008, du contrat du 2 janvier 2007 et du programme de travail pour l’année 2008 du 16 janvier 2008 la liant à la société GFI Monetic, et à ses torts exclusifs, alors, selon le moyen :
1°/ que dans un contrat synallagmatique à exécution successive, la résolution judiciaire du contrat n’opère pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté, dès lors que les manquements contractuels ne sont pas intervenus dès l’origine ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que la résolution du contrat de prestations de services litigieux, conclu le 2 janvier 2007, avait pris effet au 30 juillet 2008 et que ce contrat avait été régulièrement exécuté jusqu’au départ de M. X… en février 2008 ; qu’en déboutant cependant la société Mansit de sa demande tendant au règlement de la facture concernant le travail effectué par M. X… avant son départ, cependant que ce travail était bien antérieur au 30 juillet 2008 et de surcroît reconnu comme ayant été effectif par la société GFI Monetic, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé les articles 1134 et 1184 du code civil ;
2°/ que les clauses aménageant à l’avance la rupture anticipée d’un contrat ont vocation à s’appliquer en cas de résolution ou résiliation judiciaires de celui-ci ; qu’en l’espèce, l’article 6 du contrat litigieux stipulait qu’ « en cas de résiliation anticipée du contrat de manière unilatérale par GFI Monetic, quel qu’en soit le motif, et sauf si ladite résiliation anticipée est causée par une faute constituant une infraction pénale de la société Mansit dans le cadre du contrat, celle-ci devra être signifiée à la société Mansit par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six mois. De plus, la société Mansit percevra en dédommagement une indemnité d’un montant équivalent à cent jours de facturation » ; qu’en affirmant de façon générale que « la résolution pour inexécution du contrat entraîne son anéantissement et donc la disparition des clauses de ce contrat », sans prendre en compte l’économie de la clause litigieuse qui, à l’instar d’une clause pénale, avait au contraire vocation à survivre à la résolution du contrat, la cour d’appel a derechef violé les articles 1134 et 1184 du code civil ;
Mais attendu, d’une part, qu’ayant relevé qu’il résultait de l’ensemble des éléments soumis à son appréciation que la société Mansit n’avait pas satisfait à ses engagements contractuels résultant à la fois du contrat du 2 janvier 2007 et du programme de travail pour l’année 2008 du 16 janvier 2008, c’est sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d’appel s’est prononcée comme elle a fait ;
Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu que la gravité des manquements de la société Mansit justifiait la résolution du contrat aux torts exclusifs de cette dernière, en application des dispositions de l’article 1184 du code civil, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le contrat résolu étant anéanti, la société Mansit n’était pas fondée à se prévaloir des stipulations contractuelles régissant les conditions et les conséquences de sa résiliation unilatérale par la société GFI Monetic ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;