Note sous Cass. 1re civ., 30 novembre 2022, pourvoi n° 21-11.507 :
1.- L’arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la première chambre civile suscite la réflexion, tant par ses dits que par ses non-dits, en ce qu’il se prononce sur un mécanisme, la révocation par consentement mutuel d’une donation, dont les contours sont très incertains.
Mise à jour du 03/08/2024 : Retrouvez ci-dessous mon commentaire de cet arrêt, publié au Recueil Dalloz (« Licéité et effets de la révocation conventionnelle d’une donation en présence d’héritiers réservataires », note sous Cass. 1re civ., 30 novembre 2022, D. 2023, p. 215) il y a plus d’un an et désormais disponible en libre accès sur mon site sur le fondement de l’article L. 533-4, I, du Code de la recherche.
2.- En l’espèce, une femme avait, par acte authentique, donné une certaine somme d’argent par préciput et hors part à l’un de ses fils en 1994. Le donataire avait ensuite apporté l’essentiel de cette somme au capital d’une société commerciale.
En 2005, également par acte authentique, la donatrice et le donataire ont convenu de révoquer la donation, ce qui a conduit ce dernier à restituer à la première une somme d’argent du même montant que celle qu’il avait reçue en 1994.
À son décès en 2015, la donatrice a laissé pour lui succéder ses trois enfants. La sœur du donataire a alors agi en nullité de la révocation intervenue en 2005 pour cause illicite, sur le fondement des articles 1131 et 1133 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016. Selon elle, la révocation avait pour finalité de faire échec à la réunion fictive à la masse de calcul de la réserve héréditaire de la valeur des titres que le donataire avait acquis avec les fonds donnés. En effet, selon l’article 922 du Code civil, « les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse » et « s’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession ». Or la valeur de ces titres était nettement supérieure au montant nominal de la donation restitué en 2005.
La cour d’appel de Rennes a rejeté la demande. Pour conclure à la validité de l’acte de révocation de la donation intervenu en 2005, elle a estimé que « les mobiles ayant présidé à la révocation litigieuse sont indifférents et ne peuvent se confondre avec la cause de la convention laquelle n’était pas illicite, la révocation conventionnelle d’une donation ne se heurtant à aucune interdiction légale et étant toujours possible sans que les parties n’aient à en justifier les raisons »[1].
Au visa des anciens articles 1131 et 1133 du Code civil, la Cour de cassation rappelle « qu’un contrat n’est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites ». Elle casse ensuite l’arrêt d’appel au motif que la cour d’appel aurait dû rechercher « si la cause de l’acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du Code civil ».
3.- Les apports de cet arrêt pourraient largement dépasser ce qui ressort explicitement de son conclusif. D’abord, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir contrôlé la licéité de la cause subjective de la révocation, la Cour de cassation semble admettre la validité du mécanisme de la révocation par consentement mutuel d’une donation (I). Ensuite, en jugeant de manière contestable que cette révocation est annulable lorsqu’elle a pour finalité de contourner l’article 922 du Code civil, la Cour semble considérer que la révocation, lorsque sa cause est licite, produit des effets rétroactifs opposables aux tiers fussent-ils héritiers réservataires (II).
Précisons à titre liminaire que, bien que l’arrêt ait été rendu sous l’empire des dispositions du Code civil antérieures à l’ordonnance du 10 février 2016, ses apports demeurent d’actualité puisque les nouvelles dispositions du Code civil prévoient toujours un contrôle de la licéité du contenu du contrat, qui inclut son but[2] (art. 1128, 3° et 1162), et la disposition de l’ancien article 1134, alinéa 2, relative à la révocation d’un contrat par consentement mutuel a été conservée au nouvel article 1193.
I) La validité de principe de la révocation d’une donation par consentement mutuel sous réserve de la licéité de sa cause
4.- La cour d’appel semble confondre, dans ses motifs, la cause subjective et l’objet de la révocation. La Cour de cassation commence par remettre un peu d’ordre dans ces concepts et, ce faisant, elle semble confirmer que la révocation d’une donation est un procédé intrinsèquement licite (A). En revanche, contrairement à ce qu’a jugé la cour d’appel, une telle révocation n’a pas de caractère discrétionnaire et n’échappe donc pas à un contrôle de la licéité de sa cause subjective (B).
A) La confirmation implicite de la licéité de l’objet
5.- La cour d’appel effectue une distinction surprenante entre les notions de « mobiles » et de « cause de la convention » : « les mobiles ayant présidé à la révocation de la donation du 9 juin 1994 sont indifférents et ne peuvent se confondre avec la cause de la convention qui n’était pas illicite ». La « cause de la convention » était pourtant communément définie, avant son éradication par l’ordonnance du 10 février 2016, comme « le mobile ayant conduit à la conclusion du contrat »[3]. On la qualifiait aussi de cause subjective et ce concept servait à apprécier la licéité de la cause sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil[4]. Ainsi, à l’exact opposé de ce qu’a affirmé la cour d’appel, la cause du contrat se confond avec les mobiles. La Cour de cassation le rappelle lorsqu’elle énonce, au visa des anciens articles 1131 et 1133 du Code civil, qu’« il résulte de ces textes qu’un contrat n’est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites », les termes « motifs » et « mobiles » étant ici parfaitement synonymes.
6.- Au-delà de ces considérations terminologiques, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si la cause de l’acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du code civil », la Cour de cassation admet implicitement que la révocation d’une donation par consentement mutuel est en elle-même un acte dont l’objet est licite. En effet, si l’acte avait un objet illicite, il serait nul quelle que soit sa cause subjective.
Ce faisant, la première chambre civile confirme une solution qui était déjà défendue par la doctrine majoritaire[5]. Le principe d’irrévocabilité spéciale des donations[6] interdit seulement au donateur de se ménager une faculté de révocation unilatérale de la donation[7], ce que l’on rattache souvent à la maxime de Loysel « donner et retenir ne vaut »[8]. En revanche, ce que les parties ont fait d’un commun accord, elles peuvent également le défaire d’un commun accord. Les donations n’échappent pas, sur ce point, au droit commun de l’article 1193, anciennement 1134 alinéa 2, du Code civil, qui dispose que les contrats peuvent être « révoqués […] du consentement mutuel des parties » – le mutuus dissensus. La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà semblé l’admettre par au moins trois arrêts antérieurs[9] sous la seule réserve que le parallélisme des formes soit respecté[10], c’est-à-dire que la révocation ait lieu par acte authentique comme la donation révoquée[11].
Si l’objet de la révocation est licite, sa cause est en revanche susceptible d’être illicite et doit donc être contrôlée.
B) La soumission de la cause au contrôle de licéité
7.- La cour d’appel semble affirmer que la révocation d’une donation échappe par nature au contrôle de licéité de sa cause subjective : « les mobiles ayant présidé à la révocation de la donation […] sont indifférents et […] la révocation conventionnelle d’une donation ne se heurt[e] à aucune interdiction légale et [est] toujours possible sans que les parties n’aient à en justifier les raisons ». La Cour de cassation n’est pas de cet avis puisqu’elle casse l’arrêt sur ce point.
8.- Que les parties n’aient pas à justifier les raisons de la révocation n’est qu’une application du droit commun. L’ancien article 1132 disposait ainsi que « la convention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée » et la Cour de cassation en déduisait une présomption de licéité de la cause, de sorte qu’il revenait à celui qui prétendait que la cause était illicite d’en apporter la preuve[12].
9.- En revanche, l’affirmation de la cour d’appel selon laquelle la révocation par consentement mutuel d’une donation serait toujours possible quel qu’en soit le motif suscite la réflexion. Existe-t-il seulement des contrats qui, par nature, ne sont pas susceptibles d’être annulés pour cause illicite ? Il s’agirait en quelque sorte de contrats discrétionnaires dans le sens où les parties ne pourraient jamais se voir reprocher d’avoir conclu de tels contrats, quelle qu’en soit la cause.
À notre connaissance, ni la doctrine ni la jurisprudence n’évoquent la notion d’acte discrétionnaire à propos du contrôle de la licéité de la cause. En revanche, la notion de droit discrétionnaire est employée en matière d’abus de droit pour désigner des droits dont l’exercice n’est pas susceptible de dégénérer en abus. L’abus de droit et la cause illicite sont deux notions distinctes, mais répondent à des logiques proches puisque l’abus réside dans le fait de détourner un droit de sa finalité[13]. L’abus de droit permet donc d’effectuer une forme de contrôle de la cause de l’exercice du droit. Josserand parlait d’ailleurs, à propos des droits dont l’exercice n’était pas susceptible de dégénérer en abus, de « droits non causés »[14].
Selon Alain Bénabent, la catégorie des droits purement discrétionnaires, « dont on relève que la liste est très incertaine, s’avère très résiduelle » et « en voie d’extinction »[15]. D’autres auteurs sont encore plus radicaux : « l’existence même des droits discrétionnaires semble hasardeuse […]. En effet, il paraît excessif de soustraire, d’emblée, une catégorie de prérogatives au contrôle du juge, compte tenu du rôle modérateur que joue la théorie de l’abus de droit. […] La catégorie des droits discrétionnaires est fondamentalement un non-sens, dès lors qu’il est admis que les droits subjectifs n’existent qu’en raison de la protection que le droit objectif leur accorde »[16]. De la même façon, les accords de volonté ne produisent effet qu’en vertu du droit objectif. Selon la formule consacrée, seuls les contrats « légalement formés » tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits[17]. Il n’y a donc pas de raison de soustraire la révocation par consentement mutuel d’une donation au contrôle de la licéité de la cause[18] et, sur ce point encore, l’arrêt de la Cour de cassation mérite d’être approuvé.
Le présent arrêt ne se contente pas d’acter le principe de la soumission de la cause de la révocation au contrôle de licéité, il donne par ailleurs une hypothèse dans laquelle cette cause serait considérée comme illicite.
II) L’invalidité de la révocation visant à contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du Code civil
10.- L’invalidité de cette cause subjective décrétée par la Cour de cassation n’est pas aussi évidente qu’elle peut le paraître de prime abord (A). Il découle par ailleurs de cette solution que la Cour semble attribuer implicitement un effet rétroactif à la révocation opposable aux tiers héritiers réservataires (B).
A) L’illicéité contestable de la volonté d’éviter la réunion fictive de la valeur du bien subrogé à la masse de calcul de la réserve
11.- La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché « si la cause de l’acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du code civil ». Ce faisant, la Cour considère qu’une telle cause serait illicite. Cela n’a rien d’évident.
12.- L’article 922 du Code civil détermine la composition de la masse de biens qui va servir au calcul des valeurs de la réserve héréditaire et de la quotité disponible[19]. Aux « biens existant au décès du donateur ou testateur » (al. 1er) sont ajoutés fictivement « les biens dont il a été disposé par donation entre vifs » étant précisé que « s’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession » (al. 2).
En l’espèce, la somme donnée en 1994 avait été employée par le donataire pour acquérir des parts sociales qui, au jour de la révocation par consentement mutuel en 2005, avaient une valeur nettement supérieure à celle du jour de leur acquisition. La sœur du donataire soutenait donc que la révocation avait pour seule finalité d’éviter à ce dernier d’avoir à payer une importante indemnité de réduction au moment du décès de la donatrice.
13.- Peut-on pour autant parler, dans cette hypothèse, de contournement de l’article 922 du Code civil comme le fait la Cour de cassation ? « Contourner », c’est « éviter de respecter en employant des moyens détournés »[20]. Or il est douteux que la révocation de la donation puisse constituer en l’espèce un non-respect de l’article 922 du Code civil, même si elle était animée par la seule volonté d’éviter la réunion fictive de la donation à la masse de calcul.
Pour s’en convaincre, on peut observer que la donatrice et le donataire auraient pu aboutir en toute légalité à un résultat concret similaire en recourant ab initio à un autre procédé : un prêt de somme d’argent à titre gratuit. En effet, le prêt de somme d’argent sans intérêt est qualifié, en l’état actuel de la jurisprudence, de contrat de service gratuit et non de libéralité, car la libéralité implique un appauvrissement du disposant alors que le prêt à titre gratuit n’opère le transfert d’aucun droit patrimonial[21]. Le service procuré à l’emprunteur ne peut donc pas être pris en compte dans la masse de calcul de la réserve. Ainsi, en l’espèce, la donatrice aurait parfaitement pu conclure avec son fils un prêt à titre gratuit en 1994 afin de lui éviter d’avoir à verser une indemnité de réduction, quel que soit l’usage que le fils ait fait des fonds prêtés. En révoquant la donation, les parties ont de facto transformé a posteriori la donation en prêt de consommation à titre gratuit en permettant au donataire de jouir de la somme d’argent pendant une certaine durée sans contrepartie.
On pourrait rétorquer que dès lors que la mère avait opté pour la donation en 1994 au lieu d’un prêt à titre gratuit, la réunion fictive du bien donné ou subrogé était acquise si bien que tout acte ayant pour finalité de contourner cette réunion fictive serait constitutif d’une violation de l’article 922 du Code civil. Cette analyse, parfaitement défendable, peut aussi être contestée en considérant que les héritiers réservataires présomptifs n’ont aucun droit acquis à l’intégration d’une libéralité dans la masse de calcul de la réserve tant que la succession n’est pas ouverte. Tant que le décès n’est pas intervenu, les héritiers réservataires présomptifs possèdent au mieux une simple expectative. La preuve en est que la Cour de cassation semble admettre la validité de la révocation d’une donation si celle-ci n’a pas pour finalité de « contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du code civil ». Autrement dit, la Cour semble tolérer que la révocation conduise à soustraire la donation de la masse de calcul de la réserve dès lors que cet effet n’est qu’accidentel dans le sens où il n’a pas été recherché par les auteurs de la révocation.
Quoi qu’il en soit, la question de la licéité de cette cause subjective spécifique ne présente un intérêt que si l’on part du postulat que la révocation de la donation produit un effet rétroactif.
B) La possible admission, en creux, de la rétroactivité de la révocation
14.- On peut se demander si la Cour de cassation, par cet arrêt, n’a pas admis implicitement que la révocation d’une donation par consentement mutuel produit un effet rétroactif opposable aux héritiers réservataires. En effet, la question de la licéité de la cause de la révocation ne présente un intérêt que si la révocation produit un effet rétroactif vis-à-vis des héritiers réservataires. En l’espèce, si la rétroactivité de la révocation n’était pas opposable à la sœur du donataire, cette dernière n’aurait eu aucun intérêt à agir en nullité de la révocation puisque la potentielle intention frauduleuse des parties serait totalement inapte à atteindre son but : la donation initiale aurait été réunie à la masse de calcul de la réserve malgré sa révocation.
Il faut toutefois rester prudent sur ce point. En effet, si le caractère rétroactif de la révocation avait été admis par la cour d’appel et était contesté par le demandeur au pourvoi dans deux branches de son moyen, la Cour de cassation ne répond formellement à aucune de ces deux branches dans son arrêt.
15.- De manière générale, au-delà du cas particulier de la donation, l’effet rétroactif du mutuus dissensus est très incertain. Pour de nombreux auteurs, la révocation conventionnelle n’est pas rétroactive[22]. « Si des contractants décident de revenir sur une convention qui a été exécutée, et qui a donné satisfaction, il y a en réalité une nouvelle convention en sens inverse, et non une révocation de l’accord initial »[23]. Ainsi, la révocation par consentement mutuel d’une donation de biens présents ne pourrait s’analyser qu’en « une nouvelle donation en sens inverse de la première »[24]. Mais d’autres auteurs se prononcent en faveur de la rétroactivité de la révocation[25] ou, à tout le moins, constatent que la jurisprudence semble admettre une telle rétroactivité[26].
Ainsi, par un arrêt du 27 juillet 1892, la chambre civile avait énoncé le principe suivant au visa de l’ancien article 1134 du Code civil : « attendu que les conventions peuvent être révoquées du consentement mutuel des parties, et que cette révocation produit le même effet que l’accomplissement d’une condition résolutoire, c’est-à-dire que les choses sont remises au même état que si l’obligation n’avait pas existé ; que par suite, les parties doivent se restituer réciproquement tout ce qu’elles ont reçu l’une de l’autre, en exécution de la convention révoquée »[27]. À notre connaissance, ce principe n’a jamais été énoncé de nouveau aussi clairement depuis, mais la doctrine cite quelques arrêts qui semblent confirmer, moins explicitement, que la révocation amiable peut être rétroactive[28].
16.- En affinant un peu la question, il faudrait sans doute distinguer les effets de la révocation entre les parties, qui pourraient sans difficulté être rétroactifs, des effets de la révocation vis-à-vis des tiers[29]. La rétroactivité de la révocation vis-à-vis des tiers est concevable, mais la marge est étroite : permise par le principe de l’opposabilité des contrats aux tiers[30], cette rétroactivité devrait être limitée par le principe de l’effet relatif des contrats[31] qui interdit aux parties de porter atteinte aux droits acquis des tiers. On retrouve le même raisonnement à propos de la rétroactivité de la nullité conventionnelle qui a été consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1178 du Code civil. Certains auteurs considèrent que la nullité conventionnelle produit un effet rétroactif inter partes, mais que cette rétroactivité ne saurait nuire aux tiers intéressés[32].
En l’espèce, ainsi que nous l’avons vu[33], il nous semble que la sœur du donataire ne possédait, au jour de la révocation, aucun droit acquis à la réunion fictive de la donation à la masse de calcul de la réserve, ce qui pourrait permettre de lui rendre opposable la rétroactivité de la révocation. 17.- Enfin, il faut préciser que le droit fiscal tend à assimiler la révocation conventionnelle d’un contrat translatif de propriété à une mutation en sens inverse : non seulement les droits perçus par le fisc sur l’acte révoqué ne donnent pas lieu à restitution, mais le nouveau transfert de propriété opéré par l’acte révocatoire est également imposé[34]. Évidemment, on ne peut en tirer aucune conclusion sur le plan civil, car ce ne serait pas la première fois que le droit fiscal consacre une solution qui déroge aux principes du droit civil[35].
[1] Rennes, 8 déc. 2020, n° RG 18/04599.
[2] La « cause du contrat » est « le mobile ayant conduit à la conclusion du contrat. La notion peut être identifiée à celle de but du contrat qui est retenue par l’ordonnance de réforme du droit des contrats » (Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 1, Contrat et engagement unilatéral, 5e éd., PUF, 2019, n° 675).
[3] M. Fabre-Magnan, ibid.
[4] A. Bénabent, Droit des obligations, 19e éd., LGDJ, 2021, n° 202.
[5] Admettant la possibilité d’une révocation de la donation par consentement mutuel, V. not. : W. Dross, « L’irrévocabilité spéciale des donations existe-elle ? », RTD civ. 2011, p. 25, spéc. n° 1 ; R. Vatinet, « Le mutuus dissensus », RTD civ. 1987, p. 252, spéc. n° 22 ; M. Grimaldi, obs. sous Cass. 1re civ., 7 juin 2006, RTD civ. 2007, p. 613 : « la révocation conventionnelle d’une donation-partage, comme celle d’une donation ordinaire, est parfaitement licite ».
[6] Que l’on déduit notamment de l’article 894 du Code civil.
[7] W. Dross, op. cit., spéc. n° 1.
[8] Bien que ce sens nouveau diffère du sens historique de cette maxime, qui est née à une époque où la donation était un contrat réel qui ne pouvait se former que par la remise matérielle de la chose donnée, la traditio (M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n° 1208, note 307).
[9] Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 04-14.652, RTD civ. 2007, p. 613, obs. M. Grimaldi (à propos de la révocation d’une donation-partage) ; Cass. 1re civ., 2 juin 1970, n° 68-14.147, JCP G 1970, II, 17095, note M. Dagot (à propos d’une donation) ; Cass. req., 14 juin 1843, D. 1843, p. 605 : « qu’à défaut de révocation résultant du consentement mutuel et simultané des parties contractantes, il y avait lieu d’ordonner le maintien desdites conventions » (interprétation a contrario).
[10] V. les arrêts de 1970 et 2006 cités dans la note précédente.
[11] Puisque les donations doivent, en principe, être passées par acte notarié (art. 931 du Code civil).
[12] Cass. 1re civ., 12 janv. 2012, n° 10-24.614 ; RTD civ. 2012, p. 315, obs. B. Fages.
[13] En simplifiant un peu, la jurisprudence relative à la théorie de l’abus de droit étant complexe à synthétiser (V. L. Cadiet et Ph. le Tourneau, Rép civ. Dalloz, v° « Abus de droit », juin 2015, n° 28).
[14] L. Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité : théorie dite de l’abus des droits, 2e éd., Dalloz, 1939, n° 306, p. 416.
[15] A. Bénabent, « Le discrétionnaire », Études offertes au professeur Philippe Malinvaud, LexisNexis, 2007, p. 11 et s., spéc. p. 13.
[16] L. Cadiet et Ph. le Tourneau, op. cit., n° 14.
[17] Anc. art. 1134, al. 1er, du Code civil, devenu art. 1103.
[18] En ce sens, V. R. Vatinet, op. cit., spéc. n° 27 : « Comme toute convention, le mutuus dissensus sera nul si les motifs qui l’ont déterminé sont illicites ».
[19] M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, 2020, n° 797 et s.
[20] Trésor de la langue française informatisé, v° « Contourner », sens I, C, 3.
[21] Cass. 1re civ., 11 oct. 2017, n° 16-21.419, Dr. famille 2017, comm. 248, obs. M. Nicod ; Dalloz Action Droit patrimonial de la famille 2021/2022, dir. M. Grimaldi, 7e éd., Dalloz, 2021, n° 31.12.
[22] A. Bénabent, Droit des obligations, 19e éd., LGDJ, 2021, n° 204 : l’auteur estime qu’il n’y a « en principe pas rétroactivité » ; O. Deshayes, Th. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 370 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., Dalloz, 2018, n° 468. Pour être tout à fait précis, le prêt d’argent à titre gratuit entraîne un transfert patrimonial en raison des caractères fongible et consomptible de la monnaie, mais un transfert temporaire qui n’implique donc aucun appauvrissement du prêteur au moment du dénouement du contrat du fait de l’obligation de restitution.
[23] J. Ghestin, Chr. Jamin et M. Billiau, Traité de droit civil, Les effets du contrat, 3e éd., LGDJ, 2001, n° 664.
[24] M. Dagot, note précitée.
[25] V. par ex. R. Vatinet, op. cit., n° 33.
[26] A. Bénabent, Droit des obligations, op. cit., n° 204 : si l’auteur estime qu’il n’y a « en principe pas rétroactivité », il constate néanmoins que « la jurisprudence semble admettre que les parties puissent donner à leur accord de révocation un effet rétroactif ».
[27] Cass. civ., 27 juill. 1892, DP 1892, 1, 462.
[28] V. par ex. Cass. com., 30 nov. 1983, n° 82-13.323, RTD civ. 1985, p. 166, obs. J. Mestre ; RTD com. 1985, p. 149, obs. J. Hémard et B. Bouloc : l’arrêt confère une portée rétroactive à une « résiliation amiable », vocable qui semble en réalité désigner, en l’espèce, une révocation conventionnelle, ainsi qu’en témoigne la présence de l’ancien article 1134 du Code civil au visa de l’arrêt. V. aussi Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-71.610, RTD civ. 2011, p. 126, obs. B. Fages.
[29] Effectuant cette distinction, V. R. Vatinet, op. cit., n° 32 et s. ; J. Ghestin, Chr. Jamin et M. Billiau, op. cit., n° 667 et s. ; J. Dupichot, « La prétendue “résolution amiable” peut, toutefois, opérer rétroactivement… mais seulement inter partes… comme toute résiliation », obs. sous Cass. 3e civ., 9 déc. 1981, Gaz. Pal., 24 mai 1983, doctrine p. 215 ; B. Fages, obs. citée dans la note précédente.
[30] Art. 1200, anc. 1165, du Code civil.
[31] Art. 1199, anc. art. 1165, du Code civil.
[32] Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 12e éd., LGDJ, 2022, n° 407 ; G. Chantepie et M. Latina, op. cit., n° 468. Contra : O. Deshayes, Th. Genicon et Y.-M. Laithier, op. cit., p. 370 : parce que la nullité se substituerait « exactement à la décision du juge », elle en produirait le même effet et notamment « un plein effet rétroactif ».
[33] V. supra, n° 13.
[34] Art. 1961 du Code général des impôts.
[35] Pour citer un exemple connexe, la doctrine fiscale considère, en matière de pacte tontinier, que la part du prédécédé a été transférée au survivant au jour du décès, alors que le droit civil, par le jeu de la rétroactivité de la condition, considère que le bien n’a jamais transité par le patrimoine du prédécédé et qu’il se trouvait intégralement dans le patrimoine du survivant ab initio.