Par un arrêt du 17 mars 2015, Société générale c/ SMGM, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, dans un attendu de principe rendu au visa de l’article 1147 du Code civil, que « le prestataire de services d’investissement qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières n’est pas tenu de révéler à son cocontractant le profit qu’il compte retirer de cette opération ».
Une fois la complexité des faits surmontée, cet arrêt s’avère très intéressant pour être le premier à exclure toute obligation d’information sur la marge commerciale et sur le profit escompté du contrat lorsque les banques agissent pour leur propre compte. Cette solution est heureuse pour deux raisons : d’une part parce que l’information sur la marge commerciale n’est pas une information utile pour le cocontractant, d’autre part parce que l’obligation d’information sur la marge commerciale dissimulait en l’espèce une obligation d’information sur la valeur, rejetée par la jurisprudence Baldus.
Pour une analyse de cette solution, vous pouvez consulter ma note qui vient d’être publiée au numéro 19 du 7 mai 2015 de la Semaine juridique Entreprise et Affaires : JCP E 2015, 1220, note C. François.
Je profite de ce billet pour remercier de nouveau le cabinet Célice, Blancpain, Soltner et Texidor pour m’avoir signalé cet arrêt. Vous trouverez ci-dessous la partie commentée de l’arrêt.
Cass. com., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-25.142 (à paraître) :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la Société générale que sur le pourvoi incident relevé par la Société minière Georges Montagnat ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la Société générale (la banque) propose un ensemble de produits financiers à terme aux industriels qui entendent se couvrir contre les variations des cours des matières premières; que la Société minière Georges Montagnat (la SMGM) est productrice de minerai de nickel ; que la banque et la SMGM ont mis en place des opérations de couverture à prime nulle portant sur une partie de la production de nickel de la seconde ; que la première de ces opérations, réalisée les 13 juillet et 12 août 2005, a consisté en l’acquisition par la SMGM d’un « swap » de 13 500 USD « flooré » à 11 250 USD, pour une période de onze trimestres devant prendre fin le 29 février 2008 et une quantité de 135 tonnes par trimestre, avec participation à la hausse jusqu’à 16 000 USD sur les trois premiers trimestres au moyen d’un « call spread » de 13 500/16 000 USD ; que les 5 et 8 décembre 2005 a été mise en place une couverture supplémentaire portant sur 68 tonnes de nickel par trimestre de décembre 2005 à mai 2008, au moyen d’un « put spread » de 11 250/9 250 USD contre un « call » dont le prix d’exercice était à 15 000 USD ; que tandis que le prix du nickel était en baisse au cours du second semestre de l’année 2005, il a connu une hausse continue au cours de l’année 2006 avant de dépasser 50 000 USD au printemps de l’année 2007, puis de redescendre, pour revenir à environ 10 000 USD au premier semestre 2009 ; que le 5 avril 2006, les parties ont procédé à une première restructuration partielle de la couverture de la SMGM en substituant au swap flooré initial, un swap à 15 000 USD, flooré à 11 250 USD, pour la période mars-novembre 2006, le swap initial étant inchangé pour la période de décembre 2006 à fin février 2008, et en allongeant la couverture sur la période mars-novembre 2008 au moyen d’un put spread de 11 000/9 000 USD contre un call à 15 000 USD ; que les 22 août et 1er septembre 2006, les parties ont procédé à la restructuration de l’ensemble des couvertures, au moyen, d’une part, d’un « collar » avec un floor de 10 000 USD et une participation à la hausse jusqu’à 24 500 USD, puis, de manière dégressive dans le temps, jusqu’à 17 500 USD, pour un volume de 208 tonnes et une période allant de septembre 2006 à août 2008, et, d’autre part, de la mise en place d’un « range out swap participatif » ; que le 4 octobre 2007, la SMGM a assigné la banque et a demandé, à titre principal, la « résolution » pour vices du consentement de l’ensemble des contrats conclus avec cette dernière ainsi que la restitution de toutes les sommes qu’elle lui avait versées en exécution de ces contrats et, subsidiairement, la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à ses obligations d’information, de conseil et de mise en garde ; que la banque a, de son côté, demandé la condamnation de la SMGM au paiement de la contre-valeur en euros de la somme représentant le coût de la résiliation de ses positions, intervenue le 7 mai 2009 ; (…)
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l’article 1147 du code civil ;
Attendu que le prestataire de services d’investissement qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières n’est pas tenu de révéler à son cocontractant le profit qu’il compte retirer de cette opération ;
Attendu que pour dire que la banque a manqué à son obligation d’information, l’arrêt, après avoir retenu qu’elle avait le devoir d’informer son client de la manière dont elle allait se rémunérer pour sa prestation même dans le cadre d’opérations à prime nulle, par loyauté et transparence, relève qu’il est démontré que les couvertures mises en place ont eu un coût implicite pour la SMGM qui est égal à la différence entre le montant des primes des options que celle-ci a implicitement vendues à la banque et le montant des options qu’elle lui a implicitement achetées ; qu’il précise que cette différence n’a pas été décaissée par la SMGM dans le cadre d’une opération à prime nulle et qu’elle correspond à la marge commerciale perçue par la banque indépendamment de ses gains de trading ;
Attendu qu’en statuant ainsi, en faisant grief à la banque de ne pas avoir communiqué à la SMGM une information qui ne se rapportait pas aux obligations financières résultant pour cette dernière des opérations de couverture à prime nulle litigieuses, dont elle avait été informée, mais aux méthodes utilisées par la banque afin d’en retirer un profit, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; (…)
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il rejette la demande de la Société minière Georges Montagnat tendant à la « résolution » pour vice du consentement des contrats conclus avec la Société générale, l’arrêt rendu le 26 septembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;