Note sous Cass. com., 3 juill. 2024, pourvoi n° 21-14.947 :
« Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ». Ce principe, posé par la Cour de cassation réunie en assemblée plénière en 2006 (Cass. ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255, arrêt Myr’Ho ou Boot shop), a été vivement critiqué par une grande partie de la doctrine. Sur le plan technique, il se conciliait difficilement avec la règle de l’effet relatif des contrats aujourd’hui énoncée à l’article 1199 du Code civil : « Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter. » Sur le plan de l’opportunité, ce principe semblait excessivement favorable aux tiers auxquels l’inexécution du contrat causait un dommage. Ces derniers pouvaient obtenir réparation en étant dispensés de la preuve d’une faute délictuelle distincte du manquement contractuel. Leur action en réparation restait malgré tout fondée sur l’article 1240 (anc. art. 1382) du Code civil de sorte que toutes les clauses du contrat, comme les clauses limitatives de réparation, ne leur étaient pas opposables. Les tiers pouvaient ainsi se trouver mieux lotis que le créancier contractuel lui-même. Ultime critique, qui découlait des précédentes, cette jurisprudence pouvait déjouer les prévisions des parties qui, au mieux, avaient du mal à anticiper les dommages que l’inexécution de leur contrat pourrait causer aux tiers et, au pire, n’avaient pas conscience que l’inexécution du contrat pourrait suffire à engager leur responsabilité vis-à-vis de tiers.
Malgré ces critiques et ce qui pouvait ressembler à une première tentative de restreindre la portée de cette jurisprudence (V. not. Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-17.033 ; Cass. com., 18 janv. 2017, n° 14-16.442, inédit ; Cass. 3e civ., 18 mai 2017, n° 16-11.203), la Cour de cassation de nouveau réunie en assemblée plénière a fermement réaffirmé ce principe en 2020 par son arrêt Bois rouge (Cass. ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963).
L’arrêt rendu le 3 juillet 2024 par la chambre commerciale apparaît donc surprenant en ce qu’il opère un revirement certes partiel, mais d’une importance pratique majeure. Désormais, « le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants ». En l’espèce, la clause limitative de réparation du contrat était donc opposable au tiers, alors que l’assemblée plénière avait implicitement exclu, dans son arrêt Myr’Ho, qu’une clause exclusive de réparation puisse être opposée au tiers.
Cette solution ne règle pas la contrariété entre la jurisprudence Myr’Ho et le principe de l’effet relatif des contrats, mais elle permet un rééquilibrage bienvenu entre la protection des tiers et la prise en compte des intérêts légitimes du débiteur.
Mon analyse de ce revirement peut être consultée à la Revue Lamy Droit des affaires.
Références de l’article : « Revirement partiel de la jurisprudence Myr’Ho : enfin un rééquilibrage en faveur du débiteur ! », note sous Cass. com., 3 juill. 2024, RLDA 2024/207, n° 8050.