L’été approche et avec lui la période des révisions intensives pour les étudiants qui préparent les épreuves écrites de l’examen d’entrée aux CRFPA. Le droit des obligations est la seule matière qui n’est pas laissée au choix du candidat, et il peut être fastidieux de se replonger dans ses cours de licence 2 et de licence 3, a fortiori si l’on s’est spécialisé par la suite en droit public. La matière est tellement vaste qu’elle est traditionnellement l’objet à l’université de trois cours fondamentaux : droit des contrats, droit de la responsabilité civile et régime général de l’obligation. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de m’atteler à la rédaction de fiches sur quelques notions clés du droit des obligations dans l’optique de rendre les révisions un peu plus aisées.
L’idée est de constituer des fiches les plus synthétiques possibles proposant une vue d’ensemble des notions. Au-delà du CRFPA, ces fiches peuvent bien sûr être utiles aux révisions pour d’autres examens ou concours et, pourquoi pas, pour tenter d’y voir un peu plus clair sur des notions complexes parfois difficiles à appréhender, par exemple lors de la préparation d’une séance de travaux dirigés. Afin de pouvoir atteindre un compromis acceptable entre synthèse et complétude, j’ai choisi de me concentrer sur le droit positif en vigueur en proposant une vue transversale de chaque notion sans trop entrer dans les détails. Je m’efforcerai tout de même d’évoquer le droit antérieur lorsqu’il y aura eu d’importantes évolutions afin de replacer un minimum le sujet dans son contexte et suggérer ainsi quelques pistes de réflexion, mais je n’irai pas plus loin que la simple évocation.
L’objectif étant de rendre ces notions les plus accessibles possibles, il va de soi que ces fiches ne sont pas suffisamment approfondies pour servir à un travail de recherche sérieux, ne serait-ce qu’une dissertation ou un commentaire d’arrêt. Pour cela il existe déjà de nombreuses ressources, notamment les manuels et les bases de données en ligne.
Ma première fiche, que vous trouverez ci-dessous, est consacrée aux clauses limitatives de réparation. La rédaction de ce genre de fiches demandant un certain temps, il est évident qu’elles seront publiées très progressivement et que je n’ai aucunement la prétention de couvrir la totalité des notions du droit des obligations. J’essaierai de sélectionner quelques notions incontournables qui se prêtent facilement à cet exercice de présentation synthétique.
La clause limitative de réparation peut être définie comme la « clause qui a pour objet de limiter par avance à une somme ou à un taux déterminé le montant des dommages-intérêts »(1). Si l’on trouve parfois l’expression « clause limitative de responsabilité » (y compris dans le Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant), les spécialistes du sujet lui préfèrent en général l’expression « clause limitative de réparation » car il ne s’agit pas de modifier les conditions de la responsabilité, mais simplement de plafonner le montant de la réparation due lorsque les conditions de la responsabilité sont réunies.
Première difficulté de qualification : il faut distinguer les clauses relatives à la réparation des clauses relatives aux obligations. Imaginons un contrat entre une société de pressing et son client qui contiendrait la clause suivante : « La société de pressing ne sera tenue au paiement d’aucun dommage-intérêt si elle ne parvient pas à faire disparaître les tâches d’huile ». Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une clause limitative de réparation, mais d’une clause qui vient, en amont de la réparation, limiter l’obligation de nettoyage (obligation de faire) dont est tenue la société de pressing : le débiteur s’engage à nettoyer toutes les tâches, sauf les tâches d’huile. Ainsi s’il reste une tâche d’huile sur le vêtement l’obligation ne sera pas considérée comme inexécutée et la question de la limitation de la réparation ne se posera même pas. Ce n’est donc pas une clause limitative de réparation, mais une clause qui définit les obligations que le contrat va faire naître.
Deuxième difficulté de qualification : il faut distinguer les clauses limitatives de réparation des clauses pénales. La distinction est simple dans la théorie : la première fixe un plafond au montant des dommages-intérêts dus en cas d’inexécution, la seconde fixe par avance et forfaitairement le montant des dommages-intérêts dus en cas d’inexécution. La clause limitative de réparation est stipulée dans l’intérêt du débiteur, ce dernier connaît le montant maximum qu’il devra payer en cas d’inexécution : il pourra payer moins si le préjudice subi par le créancier est moindre, mais il ne pourra pas payer plus si le préjudice est supérieur au plafond d’indemnisation prévu par la clause. A contrario la clause pénale est stipulée dans l’intérêt du créancier : elle a un caractère comminatoire par le fait que le débiteur sait exactement, par avance, le montant des dommages-intérêts qu’il devra payer en cas d’inexécution, ce montant est soustrait à l’aléa de l’évaluation du préjudice par le juge, et surtout le montant prévu par la clause pénale est souvent supérieur au préjudice réel anticipé afin de donner sa fonction punitive à la clause (d’où son nom de clause pénale) et donc son caractère comminatoire. En pratique la distinction peut être plus délicate lorsque le montant prévu par la clause pénale est inférieur au préjudice réellement subi par le créancier de l’obligation inexécutée. Dans ce cas on pourra se demander s’il ne s’agit pas en réalité d’une clause limitative de réparation déguisée. La qualification n’est pas sans conséquence puisque le régime juridique applicable aux clauses pénales est différent de celui applicable aux clauses limitatives de réparation : les clauses pénales ont des conditions de validité beaucoup moins strictes, mais en contrepartie leurs montants peuvent être révisés par le juge s’ils sont manifestement excessifs ou dérisoires (art. 1152 du Code civil).
Les problématiques afférentes à la qualification ayant été rapidement abordées, nous allons nous concentrer dans le reste de cette fiche sur le régime applicable.
La validité des clauses limitatives de réparation en matière de responsabilité délictuelle est discutée au sein de la doctrine. C’est une question qui se pose très rarement en pratique, les arrêts et dispositions sur le sujet sont donc très rares mais sont généralement hostiles à ces clauses(2). La quasi-totalité du contentieux concerne la responsabilité contractuelle, c’est donc sur ce terrain que nous allons nous concentrer dans cette fiche. Pour qu’une clause limitative de réparation puisse produire ses effets en cas d’inexécution, c’est-à-dire limiter le montant de la réparation due par le débiteur, il faut d’abord qu’elle soit déclarée valide (I), puis qu’elle ne soit pas rendue inefficace du fait de la gravité de l’inexécution (II).
I) La validité de la clause limitative de réparation
La validité de la clause limitative de réparation s’apprécie au stade de la formation du contrat. La façon dont a été exécuté le contrat est par conséquent totalement indifférente, le comportement du débiteur ne doit pas être pris en compte à ce stade, on doit en faire abstraction.
Le principe est que les clauses limitatives de réparation sont valables en matière de responsabilité contractuelle. Il existe toutefois d’importantes exceptions (A) qui peuvent conduire à réputer la clause non écrite (B).
A) Les conditions de l’invalidité de la clause limitative de réparation
Certains droits spéciaux prohibent purement et simplement les clauses limitatives de réparation (1), mais il existe également des conditions à la validité de ces clauses dans le droit commun des contrats (2).
1) Le droit spécial
La première exception est propre au droit de la consommation (a), la seconde au droit de la vente (b).
a) Le droit de la consommation : les clauses abusives
La règle est simple : toutes les clauses limitatives de réparation sont abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel (présomption irréfragable).
Article R132-1 du Code de la consommation : « Dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions du premier et du troisième alinéas de l’article L. 132-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de : (…) 6° Supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ».
b) Le droit de la vente : la garantie des vices cachés
Pour comprendre cette exception, il faut rappeler quelques notions de droit des contrats spéciaux. L’acquéreur dispose d’une action en garantie des vices cachés fondée sur l’article 1641 du Code civil (action rédhibitoire ou action estimatoire). La garantie des vices cachés peut être écartée ou limitée conventionnellement à la condition que le vendeur ne soit pas de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il ne connaisse pas l’existence de vices cachés affectant la chose vendue (art. 1643). Dans les contrats de vente conclus entre un professionnel et un non-professionnel, ou entre deux professionnels de spécialités différentes (par exemple entre un restaurateur et un vendeur de produits informatiques), la jurisprudence présume la mauvaise foi du vendeur de façon irréfragable, c’est-à-dire que le vendeur professionnel est présumé connaître l’existence du vice et aucune preuve contraire n’est admise. La réparation due au titre de la garantie des vices cachés ne peut, dans cette hypothèse, être limitée conventionnellement (Cass. com., 19 mars 2013, n° 11-26.566). Il faut toutefois préciser que la Cour de cassation fait une distinction entre l’action en garantie des vices cachés et l’action en responsabilité contractuelle et considère ainsi que la clause intitulée « clause limitative de responsabilité » n’est pas applicable à l’action en garantie (même arrêt).
2) Le droit commun : contradiction avec la portée de l’obligation essentielle
Les clauses limitatives de réparation étaient initialement valides sans restriction dans les contrats conclus entre professionnels ou entre particuliers, jusqu’au premier arrêt Chronopost (Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18.632). Après une longue période d’hésitation jurisprudentielle et doctrinale, le régime des clauses limitatives de réparation a été clarifié par l’arrêt Faurecia 2 (Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841) : « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ».
Comment savoir si la clause « contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » ? A l’époque du premier arrêt Chronopost, le seul fait que la clause ait vocation à s’appliquer en cas de violation de l’obligation essentielle suffisait à la réputer non écrite. Ce n’est plus le cas depuis l’arrêt Faurecia 2 : ce n’est pas parce que le montant de la réparation est plafonné en cas de violation de l’obligation essentielle que la clause limitative de réparation sera nécessairement réputée non écrite.
La Cour de cassation nous dit dans l’arrêt Faurecia 2 que la clause limitative de réparation contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite si elle la « vide de toute substance ». Elle met en exergue trois critères qui peuvent être utilisés par les juges du fond pour déterminer si la clause vide de toute substance l’obligation essentielle souscrite :
- Le montant du plafond d’indemnisation est-il dérisoire ? Il le serait, notamment, si le plafond d’indemnisation était inférieur au montant de la contreprestation. Exemple : la société Chronopost s’engage à transporter un colis d’un point A à un point B en l’échange du paiement d’un prix de 50 euros et le contrat contient une clause limitative de réparation qui limite à 40 euros l’indemnisation due par Chronopost en cas d’inexécution de son obligation de transport. En l’espèce le plafond d’indemnisation (40 euros) serait dérisoire car la société Chronopost pourrait ne pas exécuter le contrat et continuer malgré tout à dégager un profit (10 euros) grâce au jeu de la clause limitative de réparation… L’obligation essentielle de la société Chronopost serait vraisemblablement vidée de toute substance.
- Le montant du plafond d’indemnisation a-t-il été négocié ? Il est possible en effet que la clause limitative de réparation soit imposée par une partie, l’autre partie ayant juste le choix d’accepter ou de refuser le contrat dans son ensemble sans pouvoir négocier le montant du plafond d’indemnisation(3).
- Le prix du contrat et le plafond d’indemnisation reflètent-ils la répartition du risque dans le contrat ? Il arrive que l’inexécution d’un contrat puisse causer un préjudice considérable au créancier, exposant alors le débiteur au paiement de dommages-intérêts d’un montant très élevé. Le débiteur n’acceptera alors de contracter avec l’autre partie qu’à un prix très élevé, puisque le risque a un coût (le débiteur pourrait s’assurer pour déplacer le risque sur un assureur, mais les primes à payer seront proportionnelles à l’importance du risque à couvrir), le prix sera parfois tellement élevé qu’il sera prohibitif pour le créancier. Dans cette hypothèse la clause limitative de réparation peut permettre d’obtenir une baisse de prix en modifiant la répartition du risque dans le contrat : le plafond d’indemnisation limite le risque encouru par le débiteur en cas d’inexécution, celui-ci peut alors, en contrepartie, accorder une baisse de prix à son cocontractant. La clause limitative de réparation a pour effet de faire peser une partie du risque de l’inexécution sur le débiteur (dans la limite du plafond d’indemnisation prévu par la clause), et une partie sur le créancier (la différence entre le préjudice réellement subi par le créancier et le plafond d’indemnisation prévu par la clause restera à la charge du créancier).
Il est important de noter que ces critères n’en sont pas véritablement, il s’agit plutôt d’indices que les juges du fond peuvent relever pour déterminer si la clause vide de toute substance l’obligation essentielle. Ces trois indices mis en exergue par la Cour de cassation ne sont probablement pas exhaustifs, l’essentiel étant de dégager un faisceau d’indices suffisant pour indiquer que la clause limitative de réparation contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur. Ainsi le fait que la clause limitative de réparation n’ait pas été négociée, s’il peut constituer un indice, est assurément insuffisant à lui seul pour affirmer que l’obligation essentielle est vidée de toute substance.
Le premier arrêt Chronopost a été rendu au visa de l’article 1131. La clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite prive donc de cause l’obligation essentielle réciproque contractée par l’autre partie. Rappelons en effet que les obligations réciproques des parties se servent mutuellement de cause dans les contrats synallagmatiques. La sanction est cependant originale et diffère de la sanction traditionnelle de l’absence de cause qui est en principe la nullité du contrat.
B) Les conséquences de l’invalidité de la clause limitative de réparation
L’invalidité de la clause limitative de réparation conduit à la réputer non écrite (1) et entraîne l’application des dispositions supplétives de volonté (2).
1) La clause réputée non écrite
Lorsqu’une clause limitative de réparation est invalide, cela ne va pas entraîner la nullité de la totalité du contrat. Le contrat reste valable, seule la clause limitative de réparation sera « réputée non écrite ». Le « réputé non écrit » est une forme de nullité partielle : le contrat est maintenu, expurgé de sa partie invalide qui est annulée rétroactivement.
L’article L132-1 al. 6 et 8 du Code de la consommation le dispose expressément : « Les clauses abusives sont réputées non écrites. (…) Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses ».
Quant au droit commun, la sanction du « réputé non écrit » a été consacrée par la Cour de cassation dès le premier arrêt Chronopost et n’a pas changé depuis.
2) Application des dispositions supplétives de volonté
Le contrat étant expurgé de la clause limitative de réparation stipulée par les parties, il faut appliquer les éventuelles dispositions supplétives de volonté qui prévoiraient un plafond d’indemnisation.
Le droit commun des contrats ne contient bien sûr aucune disposition supplétive de ce type : le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice, dans la limite des dommages prévisibles (art. 1150 du Code civil).
Cependant il existe, pour certains contrats spéciaux, des contrats types réglementaires. C’était le cas dans les affaires Chronopost puisque le décret du 4 mai 1988 prévoyait un contrat type applicable au transport public terrestre de marchandises de moins de trois tonnes. L’article 15 de ce contrat type(4) stipulait qu’en « cas de préjudice prouvé résultant d’un dépassement du délai d’acheminement du fait du transporteur, celui-ci est tenu de verser une indemnité qui ne peut excéder le prix du transport », or le contrat de la société Chronopost se contentait de reprendre mot pour mot cette clause.
La clause limitative de réparation du contrat type réglementaire doit-elle également être réputée non écrite, puisque identique à la clause du contrat Chronopost qui a été jugée invalide ? Non, car le juge judiciaire n’a pas le pouvoir de déclarer invalide une disposition à valeur règlementaire (en l’occurrence l’article 15 du décret du 4 mai 1988) au motif de sa contrariété avec une disposition à valeur légale (en l’occurrence l’article 1131 du Code civil). C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un autre arrêt Chronopost de 2002 :
Cass. com., 9 juill. 2002, n° 99-12.554 : « Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;
Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Comme le montre cet arrêt, si la clause limitative de réparation du contrat type réglementaire ne peut pas être déclarée invalide, elle peut en revanche être rendue inefficace.
II) L’efficacité de la clause limitative de réparation
Si la clause limitative de réparation est invalide, il ne sert à rien d’aller plus loin : celle-ci sera réputée non écrite, et ne s’appliquera donc pas. En revanche ce n’est pas parce que la clause est valide qu’elle s’appliquera nécessairement : celle-ci peut encore être rendue inefficace, c’est-à-dire qu’on ne lui fera pas produire ses effets (B). Alors que la validité de la clause s’apprécie au stade de la formation du contrat, son efficacité s’apprécie au stade de l’exécution (A).
A) Les conditions de l’inefficacité de la clause limitative de réparation
Par hypothèse – ou la question ne se poserait pas – le débiteur a inexécuté une de ses obligations contractuelles pour laquelle le contrat prévoit un plafond d’indemnisation. Le comportement du débiteur ayant entraîné cette inexécution va alors devoir être apprécié, et la clause limitative de réparation sera rendue inefficace dans deux cas de figure : en cas de faute dolosive (1) ou en cas de faute lourde (2).
1) La faute dolosive
Même si on se contente parfois de parler de « dol », il est crucial de bien distinguer le dol au stade de l’exécution du contrat (qu’on appelle aussi faute dolosive), du dol au stade de la formation du contrat.
Le dol du stade de la formation du contrat consiste, très grossièrement, en des manœuvres tendant à provoquer l’erreur chez l’autre partie pour la déterminer à contracter. Il s’agit d’un vice du consentement, ce dol entraîne donc la nullité du contrat sur le fondement de l’article 1116 du Code civil (la nullité sanctionne un vice de formation du contrat, on est donc bien au stade de la formation du contrat).
Le dol du stade de l’exécution du contrat, la faute dolosive, peut se définir comme la « faute du débiteur qui se soustrait sciemment à ses obligations » (Voc. Cornu). On remarque que l’on retrouve l’élément intentionnel, comme dans le dol-vice du consentement, mais la comparaison s’arrête là : alors que le dol de l’article 1116 vise à provoquer l’erreur chez l’autre partie afin qu’il contracte, la faute dolosive, qui seule nous intéresse ici, consiste à ne pas exécuter sciemment le contrat. En raison de la gravité extrême du comportement du débiteur (celui-ci a choisi volontairement de ne pas exécuter ses obligations), le régime applicable à la réparation va être aménagé : le débiteur sera tenu de réparer intégralement tous les préjudices, y compris ceux qui n’étaient pas prévisibles (art. 1150 du Code civil), y compris s’il existe une clause limitative de réparation (V. II B).
La définition de la faute dolosive est simple et n’appelle donc pas plus de développements. Il s’agit d’un situation tellement extrême, voire caricaturale, qu’on la rencontre rarement en pratique. La faute lourde est plus facilement retenue, mais s’agissant d’un comportement moins extrême que la faute dolosive sa caractérisation est plus délicate.
2) La faute lourde
La faute lourde peut être définie comme la faute d’une telle gravité qu’elle laisse présumer chez son auteur l’intention de ne pas exécuter ses obligations. Contrairement à la faute dolosive, on ne cherche pas à prouver directement l’intention du débiteur de ne pas exécuter ses obligations : on s’attache à la gravité de son comportement, et c’est de la gravité de ce comportement que l’on supposera l’intention de ne pas exécuter ses obligations. C’est pourquoi l’on dit que la faute lourde est équipollente au dol, cela signifie que la faute lourde, une fois qualifiée, se voit appliquer exactement le même régime que la faute dolosive, en l’occurrence l’inefficacité de la clause limitative de réparation (V. II B).
La question de la caractérisation de la faute lourde demeure : quel critère doit être pris en compte par le juge pour qualifier une telle faute ? Deux conceptions de la faute lourde sont possibles :
- Une conception objective : on s’intéresse à l’objet, c’est-à-dire l’obligation, en appréciant l’importance de l’obligation inexécutée. S’il s’agit d’une obligation essentielle, alors il y a automatiquement faute lourde, s’il s’agit d’une obligation accessoire, secondaire, alors il n’y a pas de faute lourde.
- Une conception subjective : on s’intéresse au sujet, c’est-à-dire le débiteur, en appréciant la gravité de son comportement. Peu importe l’importance de l’obligation inexécutée, c’est la façon dont l’obligation a été inexécutée qui sera appréciée : si le débiteur a fait preuve d’une légèreté, d’une insouciance excessive, alors la faute lourde sera caractérisée, même si l’obligation inexécutée est secondaire.
Après une importante période d’hésitation, au cours de laquelle la Cour de cassation avait pu retenir la conception objective de la faute lourde, la jurisprudence s’est finalement fixée en faveur de la conception subjective clairement exprimée dans l’arrêt Faurecia 2 : « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle [c’est ici la conception objective qui est rejetée], mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur [la conception subjective est retenue] ».
On notera que la Cour de cassation contrôle la nature du critère mobilisé par les juges du fond (ceux-ci doivent apprécier la gravité du comportement du débiteur et non l’importance de l’obligation inexécutée), mais l’application de ce critère aux faits de l’espèce relève typiquement du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.
B) L’inefficacité de la clause limitative de réparation comme sanction
En cas de faute dolosive ou de faute lourde, le plafond d’indemnisation prévu dans la clause limitative de réparation ne sera pas appliqué, alors même que la clause serait valable. La sanction de l’inefficacité est différente de la sanction du « réputé non écrit » : la clause reste valable, et peut donc potentiellement produire ses effets dans un litige ultérieur. On peut par exemple imaginer un contrat à exécution successive qui ferait l’objet de multiples inexécutions, dans ce cas la clause limitative de réparation pourrait être tantôt appliquée, tantôt non appliquée, en fonction de la qualification retenue pour chaque inexécution : faute dolosive, faute lourde ou faute simple.
La faute dolosive et la faute lourde sont sanctionnées par l’inefficacité de la clause limitative de réparation, quelle que soit l’origine de la clause limitative de réparation : contrat de droit commun, contrat relevant du droit de la consommation, ou même contrat type à valeur réglementaire ou légale comme dans les affaires Chronopost (sauf disposition contraire, ce qui n’existe pas dans le droit positif actuel à ma connaissance).
Rappelons enfin, même si ce n’est pas l’objet de cette fiche, que la faute dolosive et la faute lourde obligent également le débiteur à réparer les dommages imprévisibles (art. 1150 du Code civil).
Notes de bas de page :- Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, dir. G. Cornu, PUF, 2008, v° Clause limitative de responsabilité. [↩]
- On peut notamment citer l’arrêt Cass. civ. 2e, 28 nov. 1962 : « en cette matière [délictuelle] sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité, les articles 1382 et 1383 du Code civil étant d’ordre public et leur application ne pouvant être paralysée d’avance par une convention ». En ce qui concerne les dispositions spéciales relatives à cette question, on peut citer l’article L415-6 du Code rural : « Est réputée non écrite toute clause insérée dans les baux stipulant que les détenteurs du droit de chasse dans les bois situés au voisinage des terres louées ne sont pas responsables au sens des articles 1382 et suivants du code civil, des dégâts causés aux cultures par les lapins de garenne et le gibier vivant dans leurs bois ». [↩]
- Il faut à cet égard se méfier des qualifications de « contrat d’adhésion » ou de « contrat de gré à gré » : ces deux qualifications doctrinales ne sont assorties d’aucun régime en droit positif justement car elles sont impraticables. En effet, comment qualifier un contrat dont certaines clauses ont été négociées alors que d’autres ont été rédigées par une seule partie ? Que faire lorsque le contrat a été rédigé par un tiers ? En l’occurrence il faut donc se concentrer sur la clause limitative de réparation et rechercher si celle-ci, et seulement celle-ci, a fait l’objet d’une négociation entre les parties. [↩]
- Repris aujourd’hui mot pour mot à l’article 22 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 [↩]