Méthodologie du commentaire d’arrêt : les développements (suite)

Après avoir abordé dans un premier billet la méthodologie de l’introduction du commentaire d’arrêt (dont je vous recommande la lecture préalable), continuons avec la méthodologie du reste du commentaire d’arrêt, à savoir les développements. Je rappelle que je ne formule ici que quelques conseils méthodologiques, sans prétention à l’exhaustivité et sans prétendre détenir la vérité absolue.

Alors que l’introduction est enserrée dans un formalisme lourd et ne doit varier que très peu d’une copie à l’autre, les développements laissent place à plus de liberté. Il y a malgré tout quelques règles à respecter, et on n’atteint pas sur le fond le degré de liberté d’une dissertation dont le sujet peut très souvent être appréhendé sous différents angles selon les affinités de l’étudiant, dans une certaine mesure bien sûr.

Le plan

Commençons par le plus évident, le plan. Le principe est que le raisonnement doit toujours être binaire, et on n’utilisera qu’un seul niveau dans la subdivision : I) A) B) II) A) B). Si l’étudiant est vraiment inspiré, et seulement si cela permet de gagner en clarté, on pourra exceptionnellement ajouter un niveau dans la subdivision, on utilisera alors 1) et 2), toujours de manière binaire. Cela est cependant déconseillé en règle générale car on attend de l’étudiant qu’il soit concis, et à trop vouloir subdiviser l’effet obtenu risque d’être l’inverse de celui escompté qui est la clarté du propos.

Chaque partie doit comporter un titre. Un titre n’est pas une phrase, c’est-à-dire qu’il ne doit pas se terminer par un point et surtout ne doit comporter aucun verbe conjugué. Par exemple on n’écrira pas « I) La Haute juridiction rejette la qualification d’obligation de donner. » mais plutôt « I) Le rejet de la qualification d’obligation de donner ».

L’intitulé doit refléter fidèlement le contenu de la partie, ou le décalage sera relevé par le correcteur. Il doit également être court et compréhensible. L’étudiant doit être particulièrement vigilant sur ce dernier point, trop de titres ne veulent absolument rien dire une fois isolés de leurs développements, or l’étudiant ne doit pas oublier que s’il induit le titre du contenu de sa partie, le correcteur fera la démarche inverse, c’est-à-dire qu’il lira le titre avant de lire les développements. Les éléments nécessaires à la compréhension du titre ne doivent donc pas figurer dans les développements qui le suivent ! Si jamais un éclairage s’avère nécessaire à la compréhension d’un titre, il devra se faire dans l’annonce de plan ou dans le chapeau introductif (V. infra), c’est leur fonction.

Les développements les plus importants doivent idéalement se situer dans les parties I) B) et II) A) qui sont les parties centrales, le cœur du devoir. Cela dit, les I) A) et II) B) font également partie intégrante du devoir, ils ne doivent pas être hors sujet, l’arrêt doit être commenté dès le I) A) et jusqu’au II) B). Lors d’une épreuve limitée à trois heures le correcteur sera souvent indulgent si les parties sont à peu près d’égale importance, en revanche si les parties I) A) et II) B) sont plus volumineuses que les parties I) B) et II) A), cela sera très probablement relevé. Si jamais l’étudiant se trouve dans cette situation, il pourra peut-être inverser les A et B de chaque partie ce qui permettrait d’obtenir l’équilibre idéal, à défaut il devra réfléchir à un autre plan.

Les chapeaux introductifs

Chaque partie doit commencer par un chapeau introduisant les deux sous-parties. C’est l’équivalent de l’annonce de plan dans l’introduction à la différence près qu’il s’agit ici d’introduire les parties A) et B) et non les parties I) et II). On se contentera par conséquent de renvoyer aux observations formulées à propos de l’annonce de plan dans l’introduction.

Les transitions

Le raisonnement doit être déroulé de manière logique, cohérente, fluide, il ne doit y avoir aucune rupture du fil conducteur. Ainsi, pour éviter de donner l’impression de passer du coq à l’âne, il faut rédiger des transitions entre les différentes parties. On doit donc retrouver un total de trois transitions dans le commentaire d’arrêt : entre le I) A) et le I) B), entre le I) et le II), et enfin entre le II) A) et le II) B).

Il peut s’agir d’une phrase ou d’un paragraphe, l’essentiel étant que la transition apparaisse comme naturelle. Si la transition entre deux parties est hasardeuse ou trop longue, c’est probablement que le plan n’est pas bon.

Il n’est en théorie pas nécessaire de séparer la transition du corps de la partie, cependant il est conseillé de le faire en lui dédiant un paragraphe, le correcteur sera ainsi en mesure de s’assurer d’un coup d’œil que les transitions ont bien été faites. Il est en effet assez fastidieux de chercher les transitions dans un devoir dans la mesure où on les cherche en vain dans une copie sur deux…

Et la conclusion ?

Faut-il ou peut-on rédiger une conclusion au commentaire d’arrêt ? La réponse est négative. Le commentaire d’arrêt ne doit pas être construit sous la forme d’un syllogisme, la présence d’une conclusion donnerait l’impression que l’étudiant rejuge l’affaire à la place des hauts magistrats, ce qui n’est pas l’objet du commentaire.

Le fond

Je me suis concentré jusqu’à maintenant sur les règles de forme des développements, évoquons désormais les questions de fond. On donne en général pour principal conseil le fameux triptyque « sens, valeur, portée ». Doivent en effet apparaître dans les développements :

  • Le sens de l’arrêt : il s’agit d’expliquer la solution (quelle règle est appliquée, comment est-elle interprétée, comment est-elle appliquée à l’espèce, etc), en insistant naturellement sur les questions les plus intéressantes, celles qui posaient problème en l’espèce ;
  • La valeur de l’arrêt : il s’agit de porter un regard critique sur la solution, positif ou négatif ; la critique doit avant tout être juridique, technique, mais on peut évidemment s’autoriser à la marge de critiquer l’opportunité morale, politique, économique, sociale de la décision ; la plupart des solutions ont des avantages et des inconvénients et on attendra alors de l’étudiant qu’il évoque ces deux versants, il pourra pour cela s’appuyer sur les avis des auteurs ayant écrit sur la question, en veillant cependant à citer systématiquement ses sources (V. infra) ; dernière précision, qui me semble aller de soi, il ne suffit pas de dire que l’arrêt est « bien » ou « pas bien » – ce qui serait par ailleurs très présomptueux -, il faut détailler, expliquer, justifier ;
  • La portée de l’arrêt : lorsque l’étudiant a expliqué le sens de la solution et y a porté un regard critique, il lui reste à étudier comment elle s’insère dans le droit positif, c’est ce qu’on appelle la portée de l’arrêt ; s’agit-il d’une confirmation du droit positif antérieur, d’une évolution ou d’un revirement ?, si l’arrêt est récent, quelle sera l’évolution prévisible du droit positif ?, si l’arrêt est ancien, quelle a été l’évolution du droit positif depuis celui-ci ?, s’agit-il d’un arrêt d’espèce ou d’un arrêt de principe ?

Je pense pour ma part que ce triptyque sens-valeur-portée est un très bon moyen pour débuter, le garder à l’esprit permet en théorie de ne rien oublier dans son commentaire. Cependant il ne faut pas, à mon sens, se focaliser sur ces trois éléments et aller jusqu’à construire ses développements autour de ceux-ci. Il ne faut par exemple pas chercher à faire transparaître ces trois éléments dans les titres du plan (il y a d’ailleurs quatre sous-parties et seulement trois éléments…). Au contraire, plus l’étudiant maitrisera l’exercice du commentaire d’arrêt, plus il oubliera ce triptyque tout en traitant dans son commentaire du sens, de la valeur et de la portée de l’arrêt sans même s’en rendre compte. Bien sûr on peut voir une partie, souvent le II) B), intitulée « Un arrêt à la portée incertaine » par exemple, mais ce n’est aucunement une obligation. En revanche on ne doit pas trouver des titres du type « Sens », « Valeur », « Portée », l’intitulé de la partie ne doit pas être générique, si le plan peut être appliqué à n’importe quel arrêt c’est qu’il n’est pas bon.

En ce qui concerne le plan, justement, chacun a sa petite méthode pour en dégager un. Pour ma part je commence toujours par réunir au brouillon les différents éléments que je souhaite traiter dans mon commentaire, et j’essaie ensuite de réunir ces éléments par thématique. Une fois que j’ai dégagé toutes les idées principales que je compte aborder dans mon commentaire, je tente d’en induire une summa divisio, c’est-à-dire un I et un II. Bien sûr dans certains arrêts la division principale découle presque naturellement de l’attendu de principe qui peut être découpé en deux parties (par exemple principe/exception), mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Une fois la summa divisio trouvée et toutes mes idées réparties équitablement entre ces deux parties principales (si la répartition est déséquilibrée c’est que la summa divisio n’est pas bonne), alors je tente de former deux sous-parties dans chaque partie. S’il est impossible de former deux sous-parties cohérentes (avec une articulation logique et répondant aux conditions de taille précédemment évoquées) alors je cherche une summa divisio différente et je répète cette étape. Lorsque j’obtiens quatre sous-parties qui s’organisent de façon satisfaisante dans deux parties principales, je n’ai plus qu’à formuler des titres par induction à partir du contenu des différentes parties et des articulations logiques sur lesquelles elles reposent. Il est important de faire apparaître clairement l’articulation logique dans les intitulés. Par exemple si les parties I et II développent respectivement un principe et ses exceptions, cette information doit apparaître dès la lecture des titres.

Certains recommandent d’utiliser des « plans types », je m’en garderai bien pour ma part car je n’y ai jamais eu recours moi-même. Le plan doit bien sûr reposer sur une certaine logique, je ne vais pas me lancer ici dans une taxinomie des différents plans possibles mais je peux donner quelques exemples : notion/régime, principe/exception, conditions de la règle/effets de la règle, etc.

Il faut enfin garder à l’esprit que le commentaire d’arrêt n’est pas qu’une méthode, ce sont aussi des connaissances et une certaine intelligence mobilisées au service de l’exercice. Il faut, avant d’attaquer l’exercice, maîtriser le thème de l’arrêt à commenter en se documentant un maximum sur celui-ci (cours magistral, fascicule de TD, manuels, revues juridiques, bases de données juridiques, droit positif actuel et antérieur sur la question, droit prospectif si des réformes sont envisagées, etc.) et savoir lire un arrêt de la Cour de cassation, ce qui nécessite de maîtriser la technique de cassation (on croit parfois savoir lire un arrêt de la Cour de cassation alors que ce n’est pas le cas, il y a en effet plusieurs degrés de lecture d’un arrêt, on peut parfois passer à côté de subtilités ce qui, au mieux, donnera un commentaire incomplet et, au pire, débouchera sur des contresens).

La doctrine

La place à accorder à la doctrine dans le commentaire d’arrêt est une question délicate. Délicate car la doctrine peut être une source d’information essentielle pour l’étudiant, mais il doit veiller à ne pas verser dans le plagiat. Je ne vais pas expliquer ici où et comment chercher des notes d’arrêt, il y aurait trop à dire et j’y consacrerai peut-être un prochain billet, je pars donc du postulat que le lecteur maitrise déjà ces questions, à défaut il n’est jamais trop tard pour s’y mettre !

Une fois les différentes notes de doctrine en main, comment les exploiter dans le cadre du commentaire d’arrêt ? Dans un premier temps les notes peuvent aider à comprendre le sens de l’arrêt, l’étudiant aurait tord de s’en priver pour un devoir maison car elles peuvent permettre d’éviter un contresens et leur consultation n’est aucunement considérée comme de la tricherie – bien au contraire cela témoigne d’un effort de documentation de l’étudiant. Bien sûr il est conseillé d’essayer de comprendre l’arrêt par soi même avant de se jeter dans les revues, cela sera un bon entraînement pour l’examen où l’étudiant n’aura plus accès aux revues.

Dans un second temps les notes peuvent permettre à l’étudiant de découvrir des avis sur la valeur de l’arrêt différents du sien, ou au contraire confortant sa propre opinion. Ces points de vue d’auteurs confirmés pourront être utilisés par l’étudiant dans le commentaire à condition de citer ses sources. Il y a des conventions bien précises en ce qui concerne la rédaction des références juridiques, j’y consacrerai peut-être un billet là aussi, en attendant il suffit d’imiter la façon dont les notes de bas de page sont rédigées dans les différentes revues.

Les citations doivent être utilisées avec parcimonie, le commentaire d’arrêt ne doit pas être un patchwork de notes de doctrine mais une composition personnelle. Même piocher dans plusieurs notes différentes en modifiant légèrement la structure des phrases est considéré comme du plagiat, donc sévèrement sanctionné. Les chances que le correcteur démasque la supercherie sont élevées dans la mesure où il aura probablement lu les mêmes notes que l’étudiant. Enfin, lorsqu’un extrait de note est recopié sans être modifié il faut, en plus de citer sa source, le faire figurer entre guillemets.

La gestion du temps

L’essentiel pour ne pas rencontrer de problème de gestion de temps est de savoir travailler vite. C’est une lapalissade mais qui indique qu’il n’y a pas de recette miracle. Pour parvenir à commenter un arrêt en trois heures (la durée type d’une épreuve en faculté de droit) il faut être capable d’analyser l’arrêt et de trouver un plan en grosso modo 30-45 minutes, le reste du temps étant consacré à la rédaction : environ 30 minutes pour l’introduction, puis 30 minutes par sous-partie. Pour atteindre cette rapidité il faut s’entraîner, c’est pour cela que l’étudiant doit réaliser plusieurs commentaires d’arrêt par semaine dans le cadre du contrôle continu. A l’issu de sa formation, l’étudiant doit être capable de dégager l’apport d’un arrêt en une poignée de minutes, car c’est une tâche qu’il devra très vraisemblablement accomplir régulièrement tout au long de sa carrière.

Voilà qui clôture mes deux billets consacrés à la méthodologie du commentaire d’arrêt, que j’éditerai si d’autres points intéressants me viennent à l’esprit. En me relisant je me rends compte cependant que je n’ai pas expliqué comment lire un arrêt de la Cour de cassation, ce qui est pourtant la première étape… Ce sera probablement l’objet de mon prochain billet méthodologique.

Mise à jour du 22/02/14 : vous pouvez désormais consulter ce nouveau billet consacré à la méthodologie du commentaire d’arrêts comparés.

Mise à jour du 27/11/14 : vous pouvez désormais voir un exemple de commentaire d’arrêt corrigé et annoté en introduction générale au droit.

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