L’Assemblée nationale a réintroduit l’article 3 du projet de loi de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui avait été supprimé par le Sénat par voie d’amendement. Rappelons que cet article habilite le Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance. Les sénateurs s’y sont opposés au motif qu’une branche aussi importante du droit ne pourrait être réformée par voie d’ordonnance. La procédure accélérée étant engagée, ce sera à la Commission mixte paritaire de trancher cette divergence entre les deux chambres du Parlement.
Cependant l’essentiel n’est pas là, non. L’Assemblée nationale, lors de l’examen de ce projet de loi, a en effet été le théâtre d’un débat bien plus grave dont je voudrais me saisir dans ce billet tant il a passionné la presse généraliste mardi dernier : la question de la qualification juridique de l’animal.
Un amendement a été adopté() pour abandonner les qualifications de bien meuble par nature (art. 528), ou de bien immeuble par destination (art. 522 et 524), qui sont celles retenues dans le Code civil depuis 1804. « Enfin ! », « Victoire ! », se sont empressés de s’écrier certains défenseurs de la cause animale.
Notons d’abord que, contrairement à ce qui est affirmé ci et là, le Code civil n’a pas encore été modifié. L’article 528 dispose toujours que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère », et l’article 524 dispose toujours que « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination ». Le texte voté par l’Assemblée nationale n’est qu’un amendement, il est donc un peu tôt pour crier victoire car il n’est pas exclu que la loi soit à nouveau modifiée sur ce point par la Commission mixte paritaire avant d’être promulguée. Cette possibilité est cependant plus théorique que réelle tant l’opinion publique semble tranchée sur ce sujet de société majeur : selon un sondage Ifop réalisé pour « 30 millions d’amis », 89% des sondés étaient favorables à une nouvelle qualification juridique pour les animaux, celle « d’êtres vivants et sensibles ».
Exit la qualification de meuble ou d’immeuble
Il n’en fallait donc pas plus pour que le législateur s’empare du sujet et corrige cette terrible injustice(). Exit donc la qualification de meuble par nature ou d’immeuble par destination, un nouvel article 515-14 serait introduit dans le Code civil, commençant ainsi : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ».
Circulez !, il n’y a plus rien à voir ? Pas si vite, le nouvel article 515-14 disposerait in fine : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. » Cette dernière phrase trahit la nature purement cosmétique de la modification.
Si la qualification juridique et la taxinomie ont tous deux pour objet de nommer puis de classer les espèces dans des genres, la comparaison s’arrête là. La qualification juridique a en effet pour fonction de déterminer un régime applicable. Le simple fait de nommer un phénomène permet au législateur de lui appliquer un régime juridique et donc de le contrôler. Le doyen Cornu, qui avait parfaitement décrit ce mécanisme, parlait de « nominalisme législatif ». Ainsi la garantie autonome, invention de la pratique, a pu être réglementée par le législateur dès lors qu’elle a été nommée dans le Code civil et qualifiée de sûreté personnelle, passant ainsi de la catégorie des contrats innommés à la catégorie des contrats nommés (art. 1107 du Code civil).
Il ne peut donc y avoir un intérêt juridique à la requalification de l’animal que si elle s’accompagne de l’application d’un régime juridique différent propre à cette nouvelle qualification. Ce n’est nullement le cas, le régime juridique de l’animal ne changera pas d’un iota après la promulgation de cette loi puisque celle-ci dispose expressément que le régime applicable sera toujours celui des biens corporels, c’est-à-dire celui des meubles par nature et des immeubles par destination…
Pis, la façon dont cette nouvelle qualification a vocation à s’intégrer dans les classifications déjà existantes du Code civil n’est pas sans poser problème. La summa divisio des biens retenue dans le Code civil se fait, depuis 1804, entre les biens meubles et les biens immeubles(). Le législateur nous dit aujourd’hui que l’animal n’est plus un bien meuble ou un bien immeuble, puisqu’il ressort de l’exposé des motifs que l’abandon de ces deux qualifications est l’unique raison d’être de l’amendement(). Cela ne peut donc signifier que deux choses : soit l’animal n’est plus un bien, soit il devient un bien sui generis.
L’animal n’est plus un bien ? Le droit français distingue traditionnellement les choses des personnes. L’animal accèdera-t-il, lors de la promulgation de cette loi, à la personnalité juridique ? Assurément non, le Rubicon est encore très loin d’être franchi sur ce point et espérons qu’il y aura des débats bien plus sérieux si l’on venait à envisager qu’il le soit. Il reste donc deux possibilités : soit l’animal demeure un bien, soit l’animal n’est ni une personne ni un bien. L’exposé des motifs de l’amendement demeure très évasif sur ce point, la ratio legis est donc incertaine. L’élément le plus tangible permettant de répondre à cette question est à mon sens la place de l’article 515-14 dans le Code civil : cet article préliminaire serait introduit dans le livre II avant le titre 1er, livre relatif aux « biens » et aux « différentes modifications de la propriété ». Voilà donc un changement terminologique majeur ! L’animal n’est plus un bien meuble ou immeuble, mais reste un bien… Ce changement de qualification juridique est-il si significatif pour que les « défenseurs des animaux » se réjouissent autant de l’adoption de cet amendement ? Même d’un point de vue purement symbolique, on perçoit difficilement comment la qualification de « bien » serait préférable à celle de « bien meuble » ou de « bien immeuble », le caractère mobilier ou immobilier du bien signifiant simplement que celui-ci peut être déplacé ou non.
L’animal est un bien sui generis ? Si l’animal n’est plus un bien meuble ou immeuble, mais reste un bien, c’est que le législateur vient de créer un bien sui generis, c’est-à-dire un bien qui constitue une catégorie à lui seul. La lecture de l’exposé des motifs de l’amendement semble aller dans le sens de cette hypothèse : « cet amendement a pour objet de consacrer l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective ». Cette analyse introduirait cependant une incohérence dans notre Code civil puisque l’article 516 n’est pas modifié par l’amendement et dispose toujours que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». La summa divisio est donc conservée alors même que le législateur introduit une nouvelle catégorie de biens qu’il refuse de qualifier de meubles ou d’immeubles.
Etait-il nécessaire d’en arriver là pour permettre une meilleure protection de l’animal ? Aucunement.
La qualification de bien meuble ou de bien immeuble entraîne l’application du droit commun des biens meubles et immeubles, mais n’empêche par ailleurs aucunement l’application de règles spéciales propres à certaines sous-catégories de biens. C’est le cas des souvenirs de famille qui sont des biens auxquels on applique un régime spécial, mais c’est aussi le cas des animaux qui bénéficient déjà d’une protection par le biais du droit pénal notamment().
L’article 515-14, en disposant que les animaux sont soumis au régime des biens corporels « sous réserve des lois qui les protègent », n’apporte rien à l’état actuel du droit positif. Le régime des biens corporels est déjà applicable aux animaux qui sont qualifiés de meubles par nature ou d’immeubles par destination, c’est le droit commun. Quant aux lois qui protègent les animaux, elles existent déjà dans le Code pénal et dans le Code rural(), et la qualification de bien meuble ou de bien immeuble n’est pas un obstacle à leur application grâce au jeu de la maxime specialia generalibus derogant().
La nouvelle qualification est une coquille vide perturbant de manière irréfléchie la summa divisio des biens
Si l’on voulait renforcer la protection juridique des animaux, cela aurait dû se faire par une modification des règles spéciales qui leur sont applicables, et non par la création d’une nouvelle catégorie sui generis de biens venant perturber de manière irréfléchie la summa divisio séculaire du Code civil tout en restant en l’état une coquille vide. Il est sans doute plus aisé politiquement de proposer un changement purement cosmétique que de prendre position sur des sujets plus sensibles, comme l’interdiction des corridas. Un autre amendement avait été déposé pour interdire ces dernières, mais celui-ci a été rejeté().
L’objectif poursuivi par les députés aurait pu, à mon sens, être atteint sans défigurer le Code civil. Si le but était de proposer une définition juridique unique de l’animal permettant de lui appliquer plus aisément un régime spécial protecteur, pourquoi ne pas l’avoir fait tout en maintenant la qualification de meuble par nature ou d’immeuble par destination ? Le résultat aurait été le même, à la différence près que la summa divisio meuble/immeuble de l’article 516 aurait conservé son intégrité et le peu d’utilité qui lui reste aujourd’hui. La garantie autonome est un contrat, on lui applique le droit commun des contrats, mais c’est aussi un contrat spécial, on lui applique donc également les dispositions qui ont été spécialement édictées pour le régir. En cas de contrariété entre les dispositions du droit commun et celles du droit spécial, ce sont ces dernières qui priment en application du principe speciala generalibus derogant. L’idée serait ici identique : l’animal est un bien meuble par nature ou un bien immeuble par destination, on lui applique donc le droit commun applicable à tous les meubles par nature et immeubles par destination, mais s’agissant d’un bien particulier, « vivant et doué de sensibilité », on lui applique également des règles spéciales ayant vocation à le protéger, celles-ci primant sur celles-là en cas de conflit. C’est d’ailleurs le droit positif actuel, à la différence près que le Code civil ne contient pour l’instant aucune définition de l’animal.
Le législateur est décidemment très préoccupé par les questions de terminologie juridique ces derniers temps. Rappelons en effet que celui-ci a récemment proposé la suppression de l’expression « bon père de famille », également par voie d’amendement.
On notera enfin que le projet de loi amendé est celui relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. On pourrait aisément parler de cavalier législatif si le contenu de ce projet de loi n’était pas déjà aussi hétéroclite : amélioration des procédures en matière de tutelle ; reconnaissance de la possibilité, pour les personnes sourdes ou muettes, de conclure un testament authentique devant notaire ; réforme du Tribunal des conflits pour en supprimer la présidence par le ministre de la Justice ; mise en place des garanties relatives à la communication électronique en matière pénale ; suppression de commissions administratives qui ont accompli leur mission et, surtout, réforme du droit des contrats, tout cela par voie d’ordonnance. Une censure du texte reste cependant envisageable si le Conseil constitutionnel venait à être saisi. Le risque de cavalier législatif a été évoqué par un député lors des débats, et une saisine du Conseil sur ce point n’est pas à exclure car s’il existe un puissant lobby des « défenseurs des animaux », il existe un autre lobby aux intérêts antagonistes, celui des professionnels de l’élevage.
Mise à jour : Le projet de loi a été examiné en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, pour en savoir plus consultez ce nouveau billet du 31/10/2014 : L’animal, nouvel objet juridique non identifié ?
Notes de bas de page :