Réforme du droit des obligations par ordonnance : échec de la CMP, reprise de la navette parlementaire

La réforme du droit des contrats est devenue un véritable feuilleton. Dans les précédents épisodes le Gouvernement avait déposé un projet de loi visant notamment à être habilité à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance(1), puis le Sénat avait supprimé en première lecture cette habilitation par voie d’amendement(2), avant que l’Assemblée nationale ne la réintroduise, également par voie d’amendement(3). Entre temps, le projet d’ordonnance de la Chancellerie a été diffusé sur la toile de façon officieuse(4).

La procédure accélérée étant engagée, le désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat a débouché sur la réunion d’une commission mixte paritaire hier, le 13 mai 2014, qui n’est pas parvenue à un accord(5). Cela n’est guère surprenant puisque les sénateurs s’étaient opposés à une réforme par voie d’ordonnance à l’unanimité en commission des lois, et à l’unanimité moins une voix lors du vote en séance publique. Les sénateurs en ont fait une question de principe, comme en témoigne la déclaration faite par Jean-Pierre Sueur suite à l’échec de la CMP qu’il présidait : « je tiens à exprimer mon total désaccord avec le recours aux ordonnances pour modifier l’ensemble du droit des contrats et des obligations, soit un cinquième du Code civil »(6).

Commission mixte paritaire

Crédit : Photo Sénat © Sénat

En cas de désaccord au sein de la CMP (qui, rappelons le, est composée de sept députés et de sept sénateurs), la navette parlementaire reprend. Si les deux chambres ne parviennent toujours pas à un accord après une nouvelle lecture, ce qui arrivera très probablement, alors l’article 45 de la Constitution permettra au Gouvernement de demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. Il y a donc de fortes chances que le Gouvernement soit finalement, après de nombreuses péripéties, habilité par le Parlement – ou devrais-je dire par l’Assemblée nationale – à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance, malgré l’opposition de principe du Sénat. Le feuilleton connaitra donc encore quelques épisodes avant son dénouement.

Mise à jour du 16/05/2014 : le rapport de la CMP vient d’être mis en ligne(7). Celle-ci s’est ouverte sur un constat de désaccord quant à l’article 3 du projet de loi, celui qui habilite le Gouvernement à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance, le Sénat adoptant une « position de principe », l’Assemblée nationale une « position réaliste »(8). Le président de la CMP, M. Sueur, a tout de même tenu à ce qu’un débat ait lieu sur les premiers articles du projet de loi, car certaines CMP « réussissent contre toute attente »(9). Il a notamment été question du nouvel article 515-14 du Code civil, relatif au statut juridique de l’animal, que les députés ont ajouté au projet de loi par voie d’amendement : « Votre rédaction intègre au code civil une disposition au contenu normatif incertain dont la vocation est sans doute proclamatoire » (M. Thani Mohamed Soilihi). Comme je l’avais suggéré en conclusion du billet que j’avais consacré à ce sujet, il s’agit d’une question sur laquelle les parlementaires peuvent être influencés par d’importants lobbys pro ou anti : « Nous avons tous été saisis, depuis le vote de ce texte, de nombreuses craintes, dont celles de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui ne sont pas dénuées de fondement » (même auteur). Finalement les députés et sénateurs sont très rapidement revenus au constat de désaccord sur l’article 3 du projet de loi, mettant fin à la CMP sur un constat d’échec après quelques brefs échanges.

Notes de bas de page :
  1. V. mon précédent billet La réforme du droit des obligations n’est pas enterrée, et se fera par ordonnance. []
  2. V. mon précédent billet Avant-projet d’ordonnance de réforme du droit des obligations (texte du 23/10/2013). []
  3. Cela a été rapidement évoqué dans mon dernier billet Le Code civil et le petit cheval blanc. []
  4. V. note n° 2 pour le consulter. []
  5. Le rapport n’est pas encore publié, la conclusion peut être consultée sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/leg/pjl13-530.html. []
  6. Déclaration faite dans un billet publié sur son blog intitulé Je suis en total désaccord avec le recours aux ordonnances pour modifier un cinquième du Code civil. []
  7. Le rapport peut être consulté sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/rap/l13-529/l13-529.html. []
  8. La garde des Sceaux a en effet prévenu que le projet de réforme ne serait pas inscrit à l’ordre du jour des deux assemblées sous ce mandat si la loi d’habilitation n’était pas votée, celui-ci étant déjà trop chargé. []
  9. « Je n’exclus pas que l’on puisse se convaincre. Je crois à la force du verbe. » []

Avant-projet d’ordonnance de réforme du droit des obligations (texte du 23/10/2013)

Le site Internet Les Echos a diffusé hier un document de travail du « Bureau du droit des obligations » du ministère de la Justice. Intitulé « avant-projet de réforme du droit des obligations », ce texte daté du 23 octobre 2013 confirme les rumeurs qui indiquaient que la Chancellerie disposait déjà d’un projet d’ordonnance bien ficelé prêt à être publié aussitôt la loi d’habilitation adoptée. Long de 76 pages, cet avant-projet comporte 307 articles.

Avant-projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats

La teneur du texte correspond à ce qui a été annoncé dans le projet de loi d’habilitation du 27 novembre 2013, que j’avais présenté succinctement dans mon précédent billet. On relèvera tout de même l’article 77 qui introduirait la notion de clause abusive dans le droit commun des contrats. Etant donné le volume de l’avant-projet de la Chancellerie, je ne vais pas m’adonner ici à une description des nouveautés article par article : mon précédent billet vous donnera une vue d’ensemble de la réforme envisagée que vous pourrez compléter en consultant directement le fichier PDF diffusé par le site Les Echos. Il faut noter que quelques pages sont malheureusement manquantes dans le fichier PDF, et que cet avant-projet, comme son nom l’indique, n’est pas nécessairement le texte définitif qui sera adopté par le Gouvernement s’il est habilité à légiférer par voie d’ordonnance.

La diffusion du projet de la Chancellerie n’est pas la seule actualité de la semaine relative à la réforme du droit des obligations. La commission des lois du Sénat a en effet adopté un amendement supprimant l’article 3 du projet de loi(1), article qui habilitait le Gouvernement à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance… L’argument mis en avant est classique : « la commission des lois, conformément à une position constante, ne pouvait souscrire au choix de légiférer par ordonnance dans les matières relevant du droit civil aussi essentielles que le droit des contrats et des obligations sur lesquelles le Parlement devrait se prononcer au terme d’un débat éclairé et approfondi »(2). Un contre-argument peut toutefois être mis en avant, formulé notamment par Mustapha Mekki : « les enjeux politiques d’une réforme du droit des obligations sont moindres que ses enjeux techniques. L’intérêt de l’ordonnance est de rendre possible un droit des obligations cohérent et homogène qui ne sera pas défiguré par le dépôt de trop nombreux amendements »(3). On rappellera à cet égard que le Code civil de 1804, tant loué pour ses innombrables qualités rédactionnelles, a été adopté dans des conditions très peu démocratiques. Présentés à la Convention en 1793 puis en 1794, et au Conseil des Cinq-Cents en 1796, les différents projets, pourtant de qualité, se sont systématiquement enlisés dans les débats parlementaires. Il faut attendre le coup d’Etat du 18 brumaire pour que Bonaparte nomme la commission composée de quatre magistrats(4) à qui l’on doit la rédaction du Code civil de 1804.

L’opposition du Sénat sera-t-elle décisive et la réforme sera-t-elle de nouveau renvoyée aux calendes grecques ?

Cette opposition du Sénat sera-t-elle décisive, ou l’article 3 sera-t-il rétabli par l’Assemblée nationale puis maintenu par la commission mixte paritaire ? On se souvient que les sénateurs ont récemment fait parler d’eux au sein de la petite communauté des universitaires-juristes dans des circonstances similaires, en supprimant par voie d’amendement le processus de qualification des enseignants-chercheurs par le CNU(5). Cependant cette tentative de rébellion a fait long feu puisque la version originale du texte a été immédiatement rétablie par la commission mixte paritaire. On sera fixé assez rapidement. Le projet de loi, qui a été déposé au Sénat le 27 novembre dernier, sera examiné en première lecture le 21 janvier.

Mise à jour du 25/02/2015 : la loi d’habilitation ayant été adoptée, la Chancellerie vient de lancer une consultation publique sur la réforme du droit des contrats et a publié à cette occasion un projet d’ordonnance officiel dont le contenu semble identique à cet avant-projet.

Notes de bas de page :
  1. L’amendement est consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/amendements/commissions/2013-2014/175/Amdt_COM-11.html []
  2. Communiqué de presse du Sénat du 15 janvier 2014, http://www.senat.fr/presse/cp20140115c.html []
  3. Billet « Noël avant l’heure : la réforme du droit des obligations bientôt dans les « bacs » ! », actu.dalloz-etudiant.fr, http://actu.dalloz-etudiant.fr/le-billet/article/noel-avant-lheure-la-reforme-du-droit-des-obligations-bientot-dans-les-bacs//h/80f6a51a425115a5b43808635425ee97.html []
  4. Tronchet, Bigot de Préameneu, Portalis et Maleville []
  5. L’amendement est consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/amendements/2012-2013/660/Amdt_6.html []

La réforme du droit des obligations n’est pas enterrée, et se fera par ordonnance

Alors que l’on s’apprêtait à fêter le bicentenaire de notre Code civil, une partie de la doctrine, pressée par le dessein d’une uniformisation du droit des obligations à l’échelle européenne, entreprit de dépoussiérer les titres III et IV de son livre III. De cette effervescence naquit deux projets doctrinaux majeurs, l’avant-projet Catala(1) et le projet Terré(2) que l’on ne présente plus, et deux avant-projets de la Chancellerie(3).

Code civil droit des contrats obligationAlors que l’on pensait les dernières velléités de réforme enterrées et que l’on enseignait aux étudiants qu’une période de crise économique était peu propice à une réforme du droit des obligations, trop éloignée des préoccupations du citoyen profane, le Gouvernement semble avoir pris beaucoup de monde de court en déposant, il y a quelques jours, un ambitieux projet de loi visant à réformer de nombreux pans du Code civil(4).

Ambitieux ? Sur le fond, indubitablement. Sur la forme, on ne peut s’empêcher de relever une certaine inadéquation avec l’ambition affichée. Le Gouvernement souhaite en effet être habilité par le Parlement à légiférer par voie d’ordonnance. Outre l’absence de débats parlementaires qu’implique cette procédure, on notera que le droit des obligations partage la vedette, dans ce projet de loi, avec plusieurs autres branches du droit qui seront elles aussi réformées : droit des biens, incapacités, procédure pénale, Tribunal des conflits, etc. Une désagréable impression de « fourre-tout » se dégage de cet inventaire à la Prévert. Ultime affront à Domat, Pothier, Portalis et consorts, ce projet de loi est affublé de l’intitulé « modernisation et simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ». Une loi de modernisation et de simplification du droit, une de plus(5), pour réformer l’un des piliers du droit français dont l’essentiel des dispositions n’a pas été retouché depuis 1804… La crainte d’une réforme technocratique décidée dans l’alcôve des cabinets ministériels est bien réelle.

La crainte d’une réforme technocratique décidée dans l’alcôve des cabinets ministériels est bien réelle

Oublions la forme, et revenons au fond. « L’article 3 de la présente loi vise à mettre en oeuvre la réforme du droit des obligations portant sur le droit des contrats, les quasi-contrats, le régime et la preuve des obligations. » La demande d’habilitation couvre donc la totalité du droit des obligations, à l’exclusion de la responsabilité civile délictuelle qui sera vraisemblablement réformée un peu plus tard.

Une partie de la réforme se ferait « à droit constant » en consacrant les « acquis jurisprudentiels » dans le granit du Code civil. La structure du livre III serait ainsi revue. Les titres III (« Des conventions ou des obligations conventionnelles en général »), IV (« Des engagements qui se forment sans convention ») et IV bis (« De la responsabilité du fait des produits défectueux ») seraient remplacés par un titre III unique divisé en trois sous-titres correspondant aux trois principales sources d’obligations : les contrats, la responsabilité civile, et les quasi-contrats. Le sous-titre relatif à la responsabilité civile ne ferait qu’accueillir les dispositions de l’actuel chapitre II du titre IV (relatif aux délits et quasi-délits) et de l’actuel titre IV bis, puisque le domaine est exclu du champ de l’habilitation. Il s’agira donc d’abord de retoucher les dispositions existantes afin qu’elles reflètent plus fidèlement l’état du droit positif actuel (on songe par exemple à l’article 1142), mais aussi d’ajouter des dispositions là où les lacunes du Code civil de 1804 ont été comblées par la jurisprudence (l’exposé des motifs cite notamment le processus de formation du contrat).

On peut douter de la faisabilité d’une telle entreprise. « Consolider les acquis jurisprudentiels », « à droit constant », cela implique l’existence d’une jurisprudence exhaustive et univoque. Une telle vision de la jurisprudence est irréaliste, les auteurs étant capables de débattre à l’infini du sens et de la portée de certains arrêts. L’exécutif devra donc trancher sur bien des points, et ce faisant faire œuvre créatrice. On quittera alors les strictes limites d’une codification à droit constant telle que présentée dans le projet de loi. Que l’on songe à la question de l’interdépendance contractuelle : les derniers arrêts de la chambre mixte(6), non content de ne pas régler totalement la question, en soulèvent de nouvelles : cette solution s’applique-t-elle uniquement aux groupes de contrats incluant un contrat de location financière ?, à défaut, quelle solution appliquer aux autres groupes de contrats sachant qu’il existait avant ces arrêts de chambre mixte une divergence entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale ?… On songe également à la rupture – doit-on dire résiliation ?, résolution ? – unilatérale extrajudiciaire du contrat(7), dont le régime, exclusivement prétorien, est pour le moins incertain. On pourrait aisément multiplier les exemples.

Le Gouvernement compte innover de manière radicale sur deux sujets extrêmement sensibles

Mais la véritable révolution annoncée est ailleurs. Le Gouvernement compte en effet innover de manière radicale sur deux sujets extrêmement sensibles.

Il y a d’abord la notion de cause, qui serait purement et simplement… supprimée. « Il est proposé de ne plus faire appel à la notion de « cause » mais de préciser les différentes fonctions régulatrices ou correctrices jusqu’à présent assignées à cette notion par la jurisprudence. » Autrement dit, on supprime le vocable, mais la fonction demeure. Cette démarche sera-t-elle réellement source de simplification et de modernisation ? N’est-ce pas là mettre la poussière sous le tapis, déplacer le problème ? Ce n’est pas un secret que la notion de cause, spécificité du droit français, est jugée trop complexe pour les juristes étrangers. C’est la raison pour laquelle certains auteurs militent pour sa suppression, dans l’optique de rendre le droit français plus lisible et donc plus attractif dans le cadre de la création d’un droit commun européen des contrats. Le Gouvernement ne cache d’ailleurs pas, dans l’exposé des motifs, cet objectif : permettre le « rayonnement et l’attractivité du système juridique français ». Est-ce encore le système juridique français que l’on fait rayonner si l’on a préalablement aligné son contenu sur celui des droits étrangers ?…

Il y a ensuite la cession de dette et la cession de contrat, qui seraient « consacrées ». La formule est autant lapidaire dans l’exposé des motifs que les conséquences seront majeures en pratique.

Ces deux points concentreront probablement l’essentiel des commentaires, bien que d’autres modifications annoncées, plus modestes sur le papier, sont toujours susceptibles de révéler des difficultés insoupçonnées une fois confrontées à l’épreuve de la pratique. Légiférer sur ces deux points, c’est franchir le Rubicon. Il sera difficile de revenir en arrière lorsque l’on aura supprimé la notion de cause et autorisé de façon générale les cessions de contrat et de dette à titre autonome.

L’incidence exacte qu’aura la suppression de la cause est difficile à anticiper, tant la notion est devenue tentaculaire. Il en va de même pour la consécration des cessions de dette et de contrat qui auront vraisemblablement des répercussions sur les notions fondamentales d’obligation, de contrat et de bien. Cette réforme s’annonce donc déjà comme un terreau fertile sur lequel la jurisprudence et la doctrine construiront et développeront de nouveaux concepts. L’un des objectifs affichés de la réforme étant de « consolider les acquis en consacrant à droit constant dans le code civil des solutions dégagées depuis plusieurs années par la jurisprudence », il faudra probablement remettre l’ouvrage sur le métier d’ici une dizaine d’années. On n’est plus à une loi de simplification du droit près…

Quelques mots enfin sur les sources d’inspiration de ce projet. L’exposé des motifs cite l’avant-projet Catala et le projet Terré, mais c’est ce dernier qui semble avoir été la principale source d’inspiration de la Chancellerie. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la position des deux projets doctrinaux sur les deux évolutions majeures envisagées par le projet de loi.

La notion de cause est conservée par l’avant-projet Catala qui lui consacre dix articles rédigés – cela ne surprendra personne – par Jacques Ghestin(8). Le projet Terré a fait le choix de la suppression de la notion, tout en maintenant ses fonctions par d’autres biais(9), une position que le Gouvernement fait sienne dans son projet de loi(10).

Si la cession de contrat est consacrée par les deux projets doctrinaux(11), il en va différemment de la cession de dette. L’avant-projet Catala n’évoque même pas la notion et en exclue donc implicitement la validité(12). Le projet Terré, en revanche, lui fait la part belle en lui consacrant cinq articles(13). Là encore, l’exécutif adopte la position défendue par les rédacteurs du projet Terré en projetant de consacrer la cession de dette.

On peut féliciter le Gouvernement d’avoir ressuscité l’expectative d’une réforme que l’on pensait renvoyée aux calendes grecques

Terminons ces quelques observations sur une note positive. Au-delà des critiques de forme que l’on a pu formuler, au-delà des critiques de fond qui seront à n’en pas douter nombreuses lorsque la teneur exacte du texte sera connue(14), on peut féliciter le Gouvernement d’avoir ressuscité l’expectative d’une réforme que l’on pensait renvoyée aux calendes grecques.

Notes de bas de page :
  1. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, Catala (dir.), remis au Garde des Sceaux en 2005 et consultable sur le site du Ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf []
  2. Le projet est découpé en trois ouvrages : Pour une réforme du droit des contrats, F. Terré (dir.), Dalloz, 2009 ; Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, F. Terré (dir.), Dalloz, 2011 ; Pour une réforme du régime général des obligations, F. Terré (dir.), Dalloz, 2013 []
  3. 2008 pour le droit des contrats, 2011 pour le régime général et la preuve des obligations : http://www.textes.justice.gouv.fr/projets-de-reformes-10179/reforme-du-regime-des-obligations-et-des-quasi-contrats-22199.html []
  4. Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, déposé au Sénat le 27 novembre 2013, http://www.senat.fr/leg/pjl13-175.html []
  5. On ne les compte plus depuis ces dix dernières années : loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit ; loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit ; loi n° 2008-1545 du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse ; loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures ; loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral ; loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit ; loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, etc. []
  6. La chambre mixte a rendu deux arrêts sur le sujet le 17 mai 2013 : n° 11-22.768 et n° 11-22.927 []
  7. On fait référence ici à la jurisprudence issue de l’arrêt Tocqueville : civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 []
  8. op. cit., art. 1124 à 1126-1, p. 25 à 30 []
  9. Pour une réforme du droit des contrats, op. cit., p. 203 et s. []
  10. « Il est proposé de ne plus faire appel à la notion de « cause » mais de préciser les différentes fonctions régulatrices ou correctrices jusqu’à présent assignées à cette notion par la jurisprudence. », exposé des motifs du projet de loi []
  11. Avant-projet Catala, op. cit., art. 1165-3 à 1165-5 ; Pour une réforme du régime général des obligations, op. cit., art. 146 et p. 128 et s. []
  12. En réalité, si la notion de cession de dette n’apparaît pas dans les articles de l’avant-projet, elle apparaît en revanche dans l’exposé des motifs, à la p. 10 : « la cession de dette n’est pas isolément admise » []
  13. Pour une réforme du régime général des obligations, op. cit., art. 141 à 145 et p. 128 et s. []
  14. Et ce quelle que soit la teneur du texte… Les projets doctrinaux s’opposant sur de nombreux points, il y aura forcément des mécontents, sans compter les organisations professionnelles qui défendent des intérêts catégoriels fort divers. []

Le droit a-t-il vocation à protéger les imbéciles ? Variations sur le contrat de vente d’un « iPhone factice »

iPhone factice 391 euros

Le droit a-t-il vocation à protéger les imbéciles ? Question classique à nouveau posée par un cas d’école qui m’a été récemment présenté par un ami. En l’espèce, une personne visiblement peu scrupuleuse met en vente sur eBay(1), depuis plus d’un an, des iPhone « factices » qui sont adjugés au prix de véritables iPhone.

Un téléphone « factice » est une copie non fonctionnelle d’un modèle de téléphone portable, en général destinée à être exposée dans les vitrines des opérateurs. Les anglo-saxons utilisent l’expression « dummy phone » pour désigner ces téléphones factices. En l’espèce, le caractère factice du téléphone apparaît clairement dans l’offre puisque le terme figure dans le titre et dans le corps de l’annonce. Cependant, excepté ce terme, aucun autre élément ne permet de deviner que le téléphone est une copie, une imitation non fonctionnelle. Ainsi, aussi surprenant que cela puisse paraître, de nombreuses personnes enchérissent sans comprendre le terme « factice » et sans chercher à en connaître le sens. On aboutit donc à des situations surréalistes dans lesquelles un téléphone factice est adjugé à plusieurs centaines d’euros. D’après l’historique des ventes de ce vendeur, cette situation cocasse s’est produite à six reprises en un peu plus d’un an, la meilleure vente ayant tout de même atteint 391 euros (capture d’écran disponible ci-dessus). Sachant qu’un iPhone factice s’achète sur Internet à moins de 10$, l’opération est très lucrative pour le vendeur qui peut ainsi dégager une marge brute allant jusqu’à 97,5%…

En pure opportunité, faut-il reconnaître la validité d’un tel contrat de vente ?

Certains insisteront sur la légèreté excessive des acquéreurs, d’aucuns diront leur imbécillité – d’où le titre de ce billet, volontairement provocateur. Sanctionner le vendeur en prononçant la nullité du contrat reviendrait à déresponsabiliser l’acquéreur, à le prendre pour un incapable. Protéger excessivement l’acquéreur, ce serait l’inciter à ne pas réfléchir. Le droit ne devrait donc pas protéger les imbéciles, solution résumée par un adage latin, de non vigilantibus non curat praetor(2).

D’autres insisteront sur le caractère vicié du consentement, voire sur le comportement du vendeur qui, on le verra, n’est pas à l’abri de tout soupçon.

Face à ces arguments contradictoires, que dit le droit positif français ? La nullité du contrat de vente peut être envisagée sur divers fondements que nous étudierons successivement. Ce n’est qu’une fois les arguments techniques passés en revue que nous pourrons discuter de l’opportunité de la nullité.

iPhone 6 Blog Clément François

La nullité pour erreur

Nul doute que l’erreur sur le caractère factice du téléphone est une erreur sur la substance déterminante du consentement de l’acquéreur. Il est cependant superflu d’aller plus loin dans le raisonnement puisqu’un élément fait évidemment obstacle, en l’espèce, à l’action en nullité : le caractère inexcusable de l’erreur. Même si le caractère inexcusable de l’erreur est parfois conçu de façon très restrictive par faveur pour l’acquéreur lésé(3), en l’espèce cette qualification semble inévitable. Le terme « factice », on ne peut plus explicite, figurait de manière bien visible à la fois dans le titre et dans le corps de l’annonce. L’obligation de se renseigner qui pèse sur tout acquéreur impose à la personne normalement prudente et diligente qui ignorerait la signification du terme « factice » de se renseigner avant d’enchérir.

La nullité pour erreur-obstacle

La doctrine distingue l’erreur-vice du consentement (que l’on vient d’envisager) de l’erreur-obstacle. Lorsqu’il y a erreur-obstacle, l’erreur est d’une gravité telle que les consentements n’ont pu se rencontrer, et par conséquent le contrat n’a pu se former. Ce n’est pas un contrat, disait Planiol, c’est un malentendu(4).

Parmi les deux formes d’erreur-obstacle distinguées par la doctrine, il y a l’erreur sur l’identité de la chose qui a fait l’objet du contrat (error in corpore). Planiol prenait l’exemple de la vente d’un cheval : « tandis que le vendeur voulait se défaire de tel cheval qu’il a actuellement dans son écurie, l’acheteur voulait en avoir un autre. Il n’y a pas de consentement, puisqu’il n’y a pas d’accord »(5).

La pertinence de la distinction entre erreur-obstacle et erreur-vice du consentement est critiquable et critiquée, il s’agit probablement plus d’une différence de degré que de nature(6). Si l’on fait abstraction de ce débat doctrinal, on peut considérer que l’erreur portait en l’espèce non pas sur la substance de la chose (erreur-vice du consentement), mais sur son identité (erreur-obstacle). L’un pensait acheter un véritable iPhone, l’autre vendre un iPhone factice, l’offre et l’acceptation n’ont pu se rencontrer puisque leurs objets étaient différents.

Il est par ailleurs important de relever que certaines ventes ont été, en l’espèce, conclues avec des acquéreurs étrangers non-francophones(7). Les acquéreurs étrangers n’étaient alors pas en mesure de comprendre l’objet de la vente du fait de l’utilisation d’un terme complexe dans une langue qu’ils ne maitrisent pas. Le terme « factice » est en effet le seul terme qui, dans l’annonce, permettait de savoir que le téléphone vendu était une imitation. Sans que l’on puisse véritablement considérer ce cas de figure comme une erreur-obstacle stricto sensu, on peut l’y rattacher car plusieurs décisions des juges du fond considèrent qu’il y a alors absence totale de consentement de la part du contractant non-francophone qui ne savait pas à quoi il s’engageait(8).

Le régime de l’erreur-obstacle est également très discuté, mais il y a un point sur lequel la Cour de cassation s’est prononcé clairement : le caractère inexcusable de l’erreur ne fait pas échec à l’action en nullité en cas d’erreur-obstacle(9). Nous aurons l’occasion de discuter un peu plus bas de l’opportunité de cette solution, pour l’instant on se contente de décrire le droit positif et on peut, à ce stade, considérer qu’il existe de sérieux arguments techniques qui permettraient de plaider, en l’espèce, la nullité du contrat de vente pour erreur-obstacle.

La nullité pour dol

Alors que « l’erreur-obstacle chasse l’erreur inexcusable »(10), le dol rend l’erreur toujours excusable(11). Le dol est le fait de provoquer intentionnellement une erreur chez son cocontractant par des manœuvres, un mensonge ou une réticence. Nous avons déjà caractérisé l’erreur de l’acheteur, il reste donc à prouver l’élément matériel du dol (manœuvres, mensonge ou réticence) et l’élément intentionnel (l’intention de provoquer l’erreur).

Le fait que le caractère factice du téléphone soit expressément mentionné dans l’offre exclut la caractérisation d’une réticence dolosive ou d’un mensonge. Restent donc les manœuvres positives effectuées dans l’intention de tromper le cocontractant.

Une première lecture de l’offre fait apparaître l’absence de telles manœuvres, puisque le terme « factice » est visible dans le titre et dans le corps de l’annonce. Une lecture plus approfondie permet cependant de penser que l’offre pourrait avoir été rédigée avec minutie pour atteindre simultanément deux objectifs : provoquer l’erreur chez le cocontractant d’une part, donner une apparence de légalité d’autre part. L’emploi du terme « factice » ne serait ainsi pas anodin : le terme est suffisamment compliqué pour créer la confusion dans l’esprit de certains acquéreurs potentiels (et donc provoquer l’erreur), suffisamment explicite et visible dans l’annonce pour qu’on ne puisse reprocher au vendeur d’avoir voulu travestir la réalité ou dissimuler l’information.

La même remarque peut être formulée à propos du reste de l’annonce. Il est parfaitement vrai que le téléphone « n’a jamais été exposé ou utilisé », qu’il « est neuf », et que « les films de protection avant et arrière sont encore sur l’écran ». Mais, en pratique, on retrouve plutôt ce type de mentions sur les offres de vente de véritables iPhone, et non sur les offres de vente de modèles factices. Ces mentions, tout en apparaissant comme faisant état d’une réalité indiscutable, contribuent en réalité à provoquer l’erreur chez l’acquéreur du fait du contexte dans lequel elles sont employées.

Une argumentation pourrait donc être développée sur ce point devant un juge : les manœuvres résideraient dans la rédaction d’une offre qui, tout en présentant une apparence de parfaite légalité, serait de nature à provoquer l’erreur chez le cocontractant .

En pratique l’intention dolosive sera extrêmement délicate à prouver, précisément parce que l’apparence indique au contraire l’absence d’une telle intention. Il faut donc dépasser cette apparence, démontrer qu’elle a été fabriquée de toutes pièces par l’auteur des manœuvres dans le dessein de faire échec à une éventuelle action en nullité, voire en responsabilité. On pourra, à cet égard, se baser sur deux éléments en l’espèce. D’une part, le caractère ambivalent des termes employés. Le terme « factice », tout en paraissant explicite et limpide à l’homme instruit, pourra paraître alambiqué et abscons à d’autres. Les mentions utilisées, tout en paraissant, dans l’absolu, fidèles à la réalité, apparaissent comme déceptives dans le contexte dans lequel elles sont employées. D’autre part, on pourra se baser sur le nombre élevé d’acquéreurs victimes d’une erreur. Le vendeur ne pouvait en effet ignorer, à l’issu de la première vente, que si les enchères avaient atteint une telle somme, c’est que l’adjudicataire pensait nécessairement acheter un véritable iPhone (personne ne débourse plusieurs centaines d’euros pour acquérir un iPhone en plastique que l’on peut par ailleurs trouver à moins de 10$ auprès d’autres vendeurs du même site). Si le vendeur n’avait pas l’intention de provoquer l’erreur chez ses cocontractants, il aurait modifié la rédaction de son offre dès la seconde vente pour éviter qu’une telle erreur ne se reproduise.

Une action en nullité pour dol est donc envisageable, même si l’issue du litige semblerait alors assez aléatoire, notamment sur le terrain probatoire. L’action en nullité semble avoir plus de chances de prospérer sur le terrain de l’absence de consentement (erreur-obstacle).

La nullité pour absence de cause objective

La lésion n’est pas, en principe, une cause de nullité en droit français (C. civ., art. 1118). Cependant il est bien connu que la jurisprudence assimile le prix vil ou dérisoire à une absence de prix, et donc à une absence de cause de l’obligation de donner du vendeur qui devient, de ce fait, nulle (C. civ., art. 1131).

Ne pourrait-on pas adopter le raisonnement inverse ? Lorsque la prestation du vendeur est tellement dérisoire par comparaison au prix dû par l’acquéreur, ne peut-on pas considérer que le vendeur n’est en réalité tenu d’aucune obligation, ce qui rendrait l’obligation de l’acquéreur sans cause ?

Bien que moins connue que celle relative au prix vil, il existe une jurisprudence en ce sens. La Cour de cassation reconnaît l’absence de cause en cas de disproportion manifeste entre les contreprestations, c’est-à-dire lorsque l’une des contreparties est dérisoire et, partant, inexistante(12).

L’opportunité de la nullité

On le voit, il existe des arguments purement techniques qui permettraient au magistrat français, s’il le jugeait opportun, de sanctionner le contrat par la nullité. Il existe cependant des contre-arguments techniques qui laissent une marge de manœuvre suffisante au juge pour ne pas prononcer la nullité, s’il la jugeait inopportune. La question se pose donc : serait-ce opportun de prononcer la nullité en l’espèce ? Question de politique juridique.

La confrontation des intérêts des parties : données psychologiques et données morales ; nullité et responsabilité

Si l’on ne prend en compte que les données psychologiques, alors la nullité du contrat doit être prononcée. Le droit des contrats français repose sur un système consensualiste, le contrat se forme par la rencontre des consentements. Le contrat ne peut donc s’être valablement formé si l’un des consentements est vicié, voire totalement absent.

La nullité du contrat a cependant un effet négatif pour le cocontractant dont le consentement n’est pas vicié. Ce dernier peut être de parfaite bonne foi, peut avoir cru conclure un contrat parfaitement valide, et subir ensuite les effets de la nullité pour vice du consentement. On va donc introduire un facteur moral dans le régime de la nullité pour vice du consentement. Ces données morales vont venir limiter les hypothèses dans lesquelles la nullité peut être obtenue, du moins lorsque le cocontractant est de bonne foi.

C’est notamment le cas, comme on l’a vu, en cas d’erreur inexcusable. L’erreur inexcusable est une faute, le contractant dont le consentement a été vicié n’a pas agi comme l’aurait fait un bon père de famille. Un contractant normalement prudent et diligent aurait cherché à comprendre le sens de tous les termes de l’annonce avant d’enchérir. Dès lors que le comportement de l’errans est jugé moralement répréhensible, on va privilégier les intérêts du cocontractant de bonne foi en ne lui faisant pas subir les effets de la nullité du contrat de vente. Le contrat sera donc maintenu, alors même que le consentement a été vicié, on fera primer les données morales sur les données psychologiques.

La situation change cependant radicalement lorsque le cocontractant est lui aussi fautif, c’est le cas lorsqu’il est l’auteur d’un dol. L’erreur inexcusable a pu, en l’espèce, être provoquée par des manœuvres dolosives. Les deux parties seraient alors fautives : l’une pour avoir commis un dol, l’autre pour ne pas avoir été suffisamment prudente et diligente en contractant. Pour savoir quels intérêts faire prévaloir dans cette hypothèse, il faut se demander quel comportement est, moralement, jugé le plus répréhensible. Il ne fait ici aucun doute : la faute intentionnelle est traditionnellement considérée comme plus grave que la faute de négligence. Une partie a commis volontairement une faute pour induire l’erreur chez son cocontractant, l’autre a simplement péché par excès de naïveté. Il n’y a, dans ce cas de figure, aucune raison de protéger le cocontractant de l’errans, on peut donc prononcer la nullité sans états d’âme.

Le véritable débat sur l’opportunité de prononcer la nullité va donc concerner la question de la nullité pour absence de cause et la nullité pour erreur-obstacle. Dans ces deux cas de figure, la nullité pourra être obtenue peu important le caractère inexcusable, fautif, du comportement de l’acheteur. Est-il opportun de prononcer la nullité du contrat alors même que l’acheteur serait reconnu fautif, et le vendeur de bonne foi ?

De nombreux auteurs considèrent que le caractère inexcusable de l’erreur devrait également s’opposer à l’action en nullité pour erreur-obstacle(13). Ces auteurs se fondent sur l’idée de « confiance » que le cocontractant de bonne foi a pu légitimement fonder sur le contrat. Le cocontractant « a pu légitimement croire qu’il traitait avec un partenaire prudent et diligent »(14).

Cependant, ce raisonnement ne conduit-il pas à mélanger deux concepts élémentaires du droit français des obligations, celui de la nullité et celui de la responsabilité civile ? La responsabilité civile répare un préjudice qui peut notamment avoir été causé par une faute. La nullité annule rétroactivement les effets d’un acte juridique dont l’une des conditions de formation n’a pas été respectée. Introduire la notion de faute dans le régime de la nullité, c’est brouiller les frontières entre ces deux notions fondamentales du droit des obligations.

On pourrait pourtant mobiliser successivement les deux notions dans notre espèce tout en maintenant l’étanchéité des deux régimes et en aboutissant à un résultat équitable pour chaque partie. Nous pourrions ainsi, dans un premier temps, prononcer la nullité du contrat pour vice du consentement, absence totale de consentement ou absence de cause. Puis, dans un second temps, nous pourrions recourir à la responsabilité civile pour réparer le préjudice subi par le cocontractant de bonne foi du fait de l’annulation du contrat. Il s’agirait d’une responsabilité pour faute sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la faute résidant dans la négligence de l’errans (caractère inexcusable de son erreur).

Le gain que le vendeur pouvait espérer de l’exécution du contrat pourrait alors constituer un préjudice réparable. Il faudrait évidemment évaluer cette espérance de gain non pas sur la base du contrat annulé, mais sur la base des conditions auxquelles le contrat aurait vraisemblablement été conclu avec un acquéreur qui n’aurait pas commis d’erreur. Il est évident qu’un acquéreur normalement prudent et diligent n’aurait pas fait monter les enchères pour la vente d’un iPhone factice jusqu’à 391 euros. La marge brute dont le vendeur pourrait prétendre être indemnisé serait donc bien inférieure, pour la calculer il faudrait se référer au prix moyen auquel les iPhone factices sont adjugés sur le même site, eBay.

La nullité sanctionne un défaut de formation du contrat (sanction objective), la responsabilité civile pour faute sanctionne le comportement du cocontractant (sanction subjective). Cette théorie a priori séduisante, défendue par quelques auteurs(15), évite d’avoir à intégrer la notion de faute dans le mécanisme de la nullité, notion qui lui est en principe étrangère.

Cette théorie soulève tout de même une problématique que l’on n’a pas encore évoquée : les conséquences de la nullité sur les tiers.

L’intérêt des tiers : la sécurité juridique

Annuler le contrat de vente et réparer le préjudice du vendeur permet a priori d’obtenir une solution équitable pour l’acquéreur comme pour le vendeur. Mais quid des tiers ? L’annulation trop aisée des contrats est en effet source d’insécurité juridique. La confiance que les tiers ont pu légitimement fonder sur ces contrats est sacrifiée.

Sans entrer dans les détails, on se contentera d’indiquer qu’il existe des mécanismes qui pourraient être à même de pallier le risque d’insécurité juridique. Il y a notamment la notion d’apparence qui peut permettre de fonder les contrats subséquents conclus sur la foi du contrat annulé.

Et l’apparence n’est pas la panacée. Ainsi, si l’iPhone factice venait à être revendu en l’espèce, le sous-acquéreur serait protégé par le jeu de l’article 2276 al. 1er du Code civil (« En fait de meubles, la possession vaut titre »). La restitution du bien vendu consécutive à l’annulation rétroactive du contrat de vente initial se ferait alors par équivalent : l’acheteur devrait restituer la valeur de l’iPhone factice qui est bien inférieure au prix payé.

Ajoutons enfin la garantie d’éviction qui protège, dans de nombreux contrats, les ayants-cause à titre particulier.

L’insécurité juridique susceptible d’être créée par l’annulation du contrat de vente ne semble donc pas être un argument rédhibitoire à l’encontre de cette théorie.

En conclusion on peut répondre que le droit est à même de protéger à la fois les imbéciles (nullité du contrat de vente), le cocontractant à qui l’imbécile a, par sa légèreté fautive, causé un préjudice (responsabilité civile), et les tiers (apparence, 2276 al. 1er, garantie d’éviction, etc).

Notes de bas de page :
  1. eBay est un site Internet qui permet à n’importe qui de publier une offre de vente par adjudication. Le vendeur rédige son offre, fixe un prix de mise en vente et une durée de mise en vente. Une fois l’offre publiée, les visiteurs du site peuvent enchérir, les enchères successives apparaissant sur le site en temps réel. Lorsque le délai fixé par le vendeur expire, le contrat de vente est formé entre le vendeur et l’auteur de la dernière enchère. []
  2. Des insouciants le préteur n’a cure []
  3. A titre d’illustration : civ. 1re, 14 déc. 2004, n° 01-03.523 où l’erreur d’un expert agréé en oeuvres d’art sur l’authenticité d’une oeuvre qu’il a achetée n’est pas considérée comme inexcusable car l’oeuvre avait déjà été certifiée et l’acquéreur était intervenu à des fins autres que celle de certification. []
  4. Planiol et Ripert, Traité élémentaire de droit civil, LGDJ, t. II, 10e éd., 1926, n° 1052 []
  5. ibid. []
  6. « Il est difficile pratiquement et logiquement de distinguer l’absence de consentement du vice de celui-ci », A. Colin, H. Capitant, Traité de droit civil, par L. Julliot de la Morandière, t. II, 1959, n° 651 []
  7. Le site eBay permet en effet aux acheteurs d’évaluer les vendeurs, et certaines évaluations ont été, en l’espèce, rédigées en anglais. []
  8. Civ. 3e, 15 déc. 1998, n° 97-17.673, Defrénois, 1999. 1038, obs. D. Tallon : le pourvoi portait sur une question de procédure (le respect du principe du contradictoire) mais la cour d’appel avait retenu que « M. A… ne contestait pas avoir rempli tout le formulaire de l’acte du 4 mai 1991, écrivant de sa main les formules « lu et approuvé », « bon pour accord » aussi bien pour M. X… Alonso que pour son épouse et que cet acte était intervenu sans témoins alors que les vendeurs parlaient mal ou pas du tout le français, ne savaient pas l’écrire ni surtout le lire », et en a déduit « qu’il n’était pas établi que les époux X… Alonso avaient donné leur consentement à l’acte » ; Paris, 30 nov. 2006, JCP G 2007. II. 10065, note H. Kenfack ; Versailles, 2 sept. 2010, RTD civ. 2011, p. 120, obs. B. Fages []
  9. Civ. 3e, 21 mai 2008, n° 07-10.772, RDC 2008, p. 716, obs. T. Genicon ; D. 2008, p. 2965, obs. S. Amrani-Mekki : « la cour d’appel qui a retenu que cette inexactitude et cette omission avaient des conséquences importantes sur la définition des biens vendus et la consistance de la vente et que Mme X… n’avait pas compris que l’un des lots énumérés dans l’acte de vente correspondait aux locaux commerciaux loués à la société Degivry occupant le lot n° 11, a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche sur le caractère inexcusable de l’erreur que ses constatations rendaient inopérante, que l’erreur de Mme X… sur l’objet même de la vente, laquelle faisait obstacle à la rencontre des consentements, devait entraîner l’annulation de la vente » []
  10. S. Amrani-Mekki, ibid. []
  11. Civ. 3e, 21 févr. 2001, n° 98-20.817, RTD Civ. 2001, p. 353, obs. J. Mestre ; D. 2001, p. 2702, note D. Mazeaud ; p. 3236, obs. L Aynès []
  12. Civ. 3e, 7 févr. 1996, n° 93-17.873, RTD civ. 1996, p. 606, obs. Mestre ; Civ. 1re, 14 oct. 1997, n° 95-14.285, Defrénois 1998, art. 36860, p. 1041, obs. D. Mazeaud : « qu’ayant souverainement estimé (…) qu’au regard de l’engagement de l’exploitant de la brasserie « l’avantage procuré par la société GBN apparaît dérisoire », la cour d’appel en a justement déduit que le contrat litigieux était nul pour absence de cause ». Pour plus d’informations sur ce courant jurisprudentiel : Rép. civ., v° Cause, par Rochfeld, n° 42 et s. []
  13. T. Genicon, op. cit. ; L. Aynès, op. cit. []
  14. L. Aynès, ibid. []
  15. C. Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992, spéc. n° 405 ; D. Mazeaud, D. 2001, p. 2702 []

De minimis ou l’ineffectivité des normes du droit de la consommation aimablement illustrée par Virgin Mobile

Je vais vous conter une petite histoire aux faits surréalistes, et pourtant…

Début mai 2012, un préposé de l’opérateur Virgin Mobile contacte par téléphone l’un de ses abonnés qui se trouve être un proche de votre serviteur. Vous devinez sans doute l’objet de cet appel, proposer un nouveau téléphone ainsi qu’un nouveau forfait à l’abonné dont la période d’engagement est arrivée à son terme. L’abonné n’étant pas particulièrement amateur de nouvelles technologies, question de génération, il se laisse séduire par les arguments du préposé qui lui propose un « smartphone » pour seulement neuf euros, ainsi qu’un nouveau forfait moins cher et pourtant plus complet.

Tampon service juridique Virgin mobile

Après m’avoir fait part de cette affaire, ce proche réalise que cette offre n’était peut-être pas si bonne qu’elle le paraissait. En effet, le smartphone s’avère être un modèle Android bas de gamme trouvable dans le commerce à moins de 170 euros, et le nouveau forfait est assorti d’une nouvelle période d’engagement de 24 mois, forfait qui n’est par ailleurs pas particulièrement attractif comparé aux forfaits dits « sans engagement » qui ont fleuri après l’arrivée de Free Mobile. « Mais tu peux te rétracter pardi ! », lui dis-je. Hé non, après vérification il s’est avéré que le délai de repentir légal de sept jours était déjà expiré !

Trouvant la pratique particulièrement détestable, d’autant plus que ce proche ne se souvient pas avoir été informé par le préposé de l’existence d’une période d’engagement de 24 mois, je me suis naturellement précipité sur mon Code de la consommation pour trouver une branche à laquelle me raccrocher. Par chance, l’article L121-27 correspondait parfaitement à notre situation :

A la suite d’un démarchage par téléphone ou par tout moyen technique assimilable, le professionnel doit adresser au consommateur une confirmation de l’offre qu’il a faite. Le consommateur n’est engagé que par sa signature. Il bénéficie alors des dispositions prévues aux articles L. 121-18, L. 121-19, L. 121-20, L. 121-20-1 et L. 121-20-3.

Chose surprenante, la procédure de Virgin Mobile – car, comme vous allez pouvoir le constater, tout fonctionne par procédure chez Virgin Mobile, comme une immense machine totalement déshumanisée – ne prévoit que l’envoi d’un mail confirmant le changement de forfait. C’est là une énorme faille : juridiquement, tous les changements de forfaits obtenus par Virgin Mobile par démarchage téléphonique sont nuls, ils n’ont aucune valeur juridique car ils n’engagent pas les clients qui ne les ont pas signés. Le législateur a édicté à l’article L121-27 du Code de la consommation une exception au principe du consensualisme, l’échange des consentements ne suffit pas à donner force obligatoire à la convention, le consentement du consommateur doit être matérialisé par sa signature. Cette disposition vise « l’offre » formulée par un professionnel par démarchage téléphonique, sans plus de précision, elle s’applique donc aussi bien à l’offre de contracter qu’à l’offre de modifier les termes d’un contrat déjà conclu.

Cette disposition relève du bon sens, le consommateur est pris par surprise lorsqu’il est démarché par téléphone, un fort soupçon pèse donc sur le caractère libre et éclairé de l’acceptation de l’offre. De surcroît un problème de preuve se pose auquel les deux parties ne font pas face sur un pied d’égalité : comment prouver l’échange des consentements et comment prouver l’objet de cet échange des consentements, autrement dit l’étendu du champ contractuel ? Alors que les centres d’appel (call centers) enregistrent souvent les conversations téléphoniques « pour améliorer la qualité du service », en réalité pour se préconstituer une preuve, le consommateur que l’on démarche par téléphone ne pensera pas à enregistrer la conversation, et quand bien même y penserait-il, saurait-il comment y procéder ?…

Au-delà de ce problème de preuve, il parait impensable que le pollicitant lise au consommateur la totalité des clauses du nouveau contrat qu’il lui propose de conclure. On ne voit donc pas très bien par quel mécanisme le consentement du consommateur pourrait s’étendre aux nombreuses clauses « secondaires » qui lui auront été communiquées par mail… après la conversation téléphonique au cours de laquelle il a exprimé son consentement !

Il y a toujours le droit de rétractation, me direz-vous, qui permet de se repentir, de revenir sur son consentement. On pourrait en effet concevoir le délai de repentir comme une exception au caractère instantané de l’échange des consentements. Le consentement du consommateur n’engagerait ce dernier que s’il est maintenu pendant sept jours, dès lors le consommateur pourrait difficilement exciper d’un vice du consentement s’il a reçu la totalité du nouveau contrat par mail après la conversation téléphonique et qu’il a malgré tout maintenu son consentement pendant sept jours.

En réalité le droit de rétractation n’a pas été conçu en droit français dans l’optique de rendre la validité du consentement incontestable une fois le délai de sept jours expiré, sa fonction n’est pas de purger le consentement de ses vices éventuels. Bien au contraire, le droit de rétractation a été édicté en raison des forts soupçons qui existent quant au caractère libre et éclairé du consentement donné par le consommateur, ces soupçons sont tels que l’on permet au consommateur de se rétracter pendant sept jours sans avoir ni à recourir au juge, ni à motiver sa décision. Autrement dit le consentement du consommateur produit son plein effet dès qu’il est exprimé, on permet seulement au consommateur de reprendre discrétionnairement ce consentement pendant un délai de sept jours. Au-delà de ce délai une action en nullité peut toujours être intentée mais, contrairement à l’exercice du droit de repentir, elle nécessitera l’intervention du juge et la preuve d’un vice du consentement.

Ce délai de rétractation pour les contrats de vente et de prestation de service conclus à distance est un véritable succès car il est parvenu à faire évoluer les pratiques aussi bien des consommateurs, qui connaissent pour la plupart l’existence de ce droit et n’hésitent pas à l’exercer, que des professionnels dont l’écrasante majorité s’est pliée spontanément à cette nouvelle législation. Cette révolution de masse a même eu un effet d’incidence vertueux sur l’ensemble du commerce en ligne : conscients de l’existence de ce droit, les consommateurs rassurés, mis en confiance, ont adopté plus rapidement cette nouvelle façon de consommer.

Malheureusement mon article L121-27 du Code de la consommation – car c’est bien lui qui nous intéresse – n’a pas rencontré le même succès. La jurisprudence rassemblée par l’éditeur Dalloz sous cet article en témoigne, seul un jugement concerne un cas de figure similaire au nôtre, et il est rendu par le Tribunal d’instance de Vanves (13 janv. 2004, « En l’absence d’acceptation formelle – écrite ou électronique – des nouvelles conditions contractuelles proposées par démarchage, et a fortiori après l’opposition écrite du client, le fournisseur d’accès à internet n’est pas fondé à modifier les conditions d’un abonnement à internet »). Cette disposition est donc largement inconnue du consommateur lambda et, plus grave encore, de certains professionnels comme Virgin Mobile.

Vient donc une étape délicate : tenter de parler Droit à une hotline délocalisée au Maroc. Le droit, on ne connait pas chez Virgin Mobile, le préposé agit comme un ordinateur : on lui soumet un programme qu’il exécute, en l’occurrence une liste de procédures, chaque cas de figure soumis par le client correspondant à une procédure à appliquer. Forcément quand la demande du client ne rentre dans aucune case, ça coince, et le préposé doit faire preuve d’imagination en appliquant une procédure qui lui semble la plus proche du cas d’espèce présenté par le client, sans lui correspondre pour autant, ce qui donne parfois des situations assez cocasses où on a l’impression de parler à un sourd. Dans mon cas (car j’ai appelé la hotline de Virgin Mobile à la place de l’abonné) je demande que l’ancien forfait soit rétabli dans la mesure où le changement de forfait, contracté par téléphone, n’engage pas le client qui n’a rien signé – mon fameux article L121-27 du Code de la consommation. Réponse de la préposée : « Je suis désolée Monsieur mais le délai de rétractation de sept jours est écoulé, et vous ne pouvez pas changer de forfait car il y a une période d’engagement de 24 mois ». Prenant mon courage à deux mains, je tente de lui expliquer le sens de l’article L121-27, à chaque fois la même réponse : « le délai de rétractation est expiré ». Ultime tentative, je demande que l’on me passe un « responsable », un « juriste » osais-je même demander, menaçant de suspendre l’autorisation de prélèvement auprès de la banque. Rien n’y fit, la préposée ne voit pas l’intérêt de me passer une personne plus haut placée dans l’organigramme puisque le problème est simple, il n’y a même pas de problème : « le délai de rétractation est écoulé vous dis-je ! »

Prenant derechef mon courage à deux mains je me saisis de ma plume – en réalité de mon clavier – pour retranscrire ma requête par écrit en espérant qu’elle sera lue par une personne compétente en droit. Je sais en effet que des sociétés comme SFR ont un service consommateur relativement performant, ne pouvant être contacté que par écrit il a grosso modo pour tâche de traiter les problèmes des clients qui ne rentrent dans aucune case du programme exécuté par les préposés de la hotline. J’expose ma requête, je relate ma première conversation téléphonique avec la hotline, et je réitère ma menace de suspension de l’autorisation de prélèvement, espérant ainsi que ma lettre sera transmise au service juridique de Virgin Mobile – à supposer qu’un tel service existe. Peu après la réception de ma lettre recommandée avec AR, un préposé de Virgin Mobile me contacte par téléphone… pour me dire une énième fois que le délai de rétractation est expiré ! Quand je vous disais que les faits étaient surréalistes… Je demande à nouveau que l’on me passe le service juridique, le préposé met mon appel en attente avant de le transférer à son supérieur. Quelques minutes plus tard, c’est toujours le même préposé qui est au bout du fil, il en a discuté avec son supérieur qui lui a dit la même chose : le délai de rétractation est écoulé… et cette fois on me menace même ! Si je suspends l’autorisation de prélèvement, une facture me sera adressée du montant de l’abonnement pour les 24 mois à venir (en réalité la loi prévoit qu’en cas de résiliation anticipée les douze premiers mois d’engagement doivent être payés au taux plein, les mois suivants à 25%).

Je conseille à l’abonné de changer d’opérateur, de révoquer son autorisation de prélèvement auprès de sa banque, et de conserver le smartphone qui lui a été livré afin de pouvoir le restituer à Virgin Mobile. Dans un premier temps l’abonné en question a reçu, comme annoncé, une facture d’un montant conséquent (plus de 300 euros pour un smartphone vendu dans le commerce à moins de 170 euros). Et ensuite ? Plus rien… Virgin Mobile n’a plus donné signe de vie depuis plus de six mois, et n’a même pas demandé la restitution du smartphone ! L’abonné a donc « gagné » un smartphone d’une valeur de 170 euros, finalement une juste réparation compte tenu du parcours du combattant qu’on lui – nous – a fait subir.

Mon hypothèse sur ce qui s’est passé ? Je pense que lorsqu’un client ne paie pas sa facture, son dossier est transmis au service recouvrement de Virgin Mobile qui doit comporter des juristes. Un juriste a donc enfin dû lire ma lettre, et n’a pu que constater que Virgin Mobile était en tort. A partir de là, la société est coincée : elle ne peut pas obtenir un paiement forcé sans titre exécutoire, le seul titre exécutoire qu’elle peut obtenir est un jugement, or Virgin Mobile ne va pas saisir le juge en sachant le procès perdu d’avance.

La morale de l’histoire est que pour pouvoir dialoguer avec une personne compétente en droit chez Virgin Mobile, il faut interrompre ses paiements… Plus sérieusement, l’abonné a fini par obtenir gain de cause dans cette affaire parce qu’il était de facto en position de force : il lui suffisait d’arrêter de payer, et c’était alors au professionnel d’assigner le consommateur en justice pour obtenir le paiement, ce qu’il ne fera bien sûr pas étant en tort. Maintenant imaginons que le consommateur ait déjà payé, qu’il veuille obtenir restitution de ce qu’il a indument payé, et que le professionnel refuse. Le consommateur, qui est par hypothèse dans son bon droit, n’aura alors qu’une solution : assigner le professionnel. Or, dans l’écrasante majorité des cas, le consommateur ne saisira pas le juge pour un litige de droit de la consommation dont l’enjeu économique est souvent relativement faible. Le droit est ainsi bafoué sans conséquence, et la suppression programmée des juridictions de proximité ne va pas dans le sens d’une plus grande justice dans la résolution de ces menus litiges du droit de la consommation.

C’est ainsi que l’article L121-27 du Code de la consommation est privé d’une grande partie de sa normativité. Certes il existe, il est là et ne demande qu’à être invoqué. Cependant les consommateurs l’ignorent, les grandes sociétés ne l’ont pas intégré dans leurs « procédures », si bien que seul un consommateur-juriste particulièrement tenace parviendra à le faire appliquer, parfois au prix d’une saisine du juge pour des litiges au montant dérisoire. Peut-être l’adoption des class actions en droit français permettrait-elle de contraindre ces sociétés à respecter ces dispositions méconnues du droit de la consommation.

PS : je précise que ma critique ne s’adresse aucunement aux employés des centres d’appels qui ne font que leur travail et qui se font même taper sur les doigts lorsqu’ils ne respectent pas les procédures définies par leur employeur, c’est plutôt la façon de faire de ces grosses sociétés qui m’exaspère, elles mettent en place un système, ou devrais-je dire une usine à gaz, qui décourage les consommateurs d’aller au bout de leurs demandes, alors même qu’ils ne demanderaient que leur dû.

Résolution et survie des clauses relatives à la résiliation unilatérale

Obs. sous Cass. com., 3 mai 2012 (n° 11-17.779 ; D. 2012, p. 1719, note A. Étienney de Sainte-Marie ; JCP G 2012, 901, note A. Hontebeyrie ; RLDC 2012, n° 95, p. 14, obs. E. Pouliquen) :

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 3 mai 2012 un arrêt très énigmatique. La solution se situe au confluent de deux débats doctrinaux animés par une jurisprudence incertaine, la question de la nature et des effets de la résiliation unilatérale consacrée par l’arrêt Tocqueville (civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 ; RTD Civ. 1999, p. 506, obs. J. Raynard ; D. 1999, p. 197, note C. Jamin) d’une part, la question de la survie de certaines clauses à la résolution du contrat pour inexécution d’autre part.

Contrat résilié

En l’espèce, en substance, deux sociétés ont conclu un contrat de service le 2 janvier 2007. Dès le début de l’année 2008, le créancier conteste la qualité des prestations réalisées et retient ses paiements. Le contrat est « interrompu » (sic) sans préavis le 30 juillet 2012 par lettre du groupe dont fait partie la société créancière, puis par lettre de cette dernière le 12 septembre 2008.

Le contrat contenait une clause intitulée « résiliation anticipée » et rédigée en ces termes : « en cas de résiliation anticipée du contrat de manière unilatérale par GFI Monetic [le créancier de la prestation de services], quel qu’en soit le motif, et sauf si ladite résiliation anticipée est causée par une faute constituant une infraction pénale de la société Mansit [le débiteur de la prestation de services] dans le cadre du contrat, celle-ci devra être signifiée à la société Mansit par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six mois. De plus, la société Mansit percevra en dédommagement une indemnité d’un montant équivalent à cent jours de facturation ». La société débitrice se fonde sur cette stipulation pour assigner la société créancière en paiement d’une indemnité contractuelle de résiliation et de préavis de 300 000 euros hors taxes. Il y a ici un paradoxe évident à ce que le débiteur responsable de l’inexécution demande le paiement d’une indemnité au créancier du fait de sa résiliation, comme si les positions étaient inversées.

La Cour d’appel de Paris déboute la société débitrice de ses demandes au terme d’une motivation très ambiguë : « la gravité des manquements [de la société débitrice] à ses obligations envers la société SAS GFI Monetic justifi[ait] l’exception d’inexécution dont cette dernière s’est prévalue pour mettre fin au contrat et, en conséquence, la résolution pour inexécution du contrat, aux torts exclusifs de la SAS Mansit, en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil. La gravité du comportement de la SAS Mansit, tel qu’il a été exposé ci-dessus, justifiait que la SAS GFI Monetic ait mis fin au contrat de façon unilatérale, le 30 juillet 2008, à ses risques et périls. (…) La résolution pour inexécution du contrat entraîne son anéantissement et donc la disparition des clauses de ce contrat sur lesquelles la SAS Mansit ne peut plus se fonder. Celle-ci ne peut donc se prévaloir de l’article 6 du contrat, concernant la résiliation anticipée ». Cette motivation est ambiguë car elle donne l’impression d’être un condensé de tous les mécanismes envisageables, comme si l’accumulation de fondements rendait la motivation moins soumise à la critique. On retrouve ainsi dans ces motifs l’exception d’inexécution qui aurait « mis fin » (sic) au contrat, la résolution pour inexécution de l’article 1184 du Code civil, et enfin l’attendu de principe de l’arrêt Tocqueville selon lequel la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.

L’arrêt de rejet de la Cour de cassation aurait pu être l’occasion de mettre un peu d’ordre dans ces motifs, malheureusement il n’en est rien. La solution est approuvée, les fondements restent énigmatiques. La première branche de l’unique moyen ne sera pas commentée ici car elle ne concerne pas le sujet qui nous intéresse. C’est la seconde branche du moyen qui présente un véritable intérêt : « les clauses aménageant à l’avance la rupture anticipée d’un contrat ont vocation à s’appliquer en cas de résolution ou résiliation judiciaires de celui-ci ». Ce à quoi la Haute juridiction répond « qu’ayant retenu que la gravité des manquements de la société Mansit justifiait la résolution du contrat aux torts exclusifs de cette dernière, en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil, la cour d’appel en a déduit à bon droit que le contrat résolu étant anéanti, la société Mansit n’était pas fondée à se prévaloir des stipulations contractuelles régissant les conditions et les conséquences de sa résiliation unilatérale par la société GFI Monetic ».

Plusieurs interprétations de cette solution sont possibles. L’une d’entre elles consisterait à conférer une portée générale à la formule selon laquelle « le contrat résolu étant anéanti, la société Mansit n’était pas fondée à se prévaloir des stipulations contractuelles ». Cet arrêt serait alors à rapprocher d’un autre, rendu le 5 octobre 2010 par la même chambre, dans lequel on pouvait lire que « la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer les clauses limitatives de responsabilité » (n° 08-11.630, inédit ; JCP G 2011, 63, obs. P. Grosser ; RDC 2011/2, p. 431, note T. Genicon). Cet arrêt avait été unanimement critiqué, la doctrine ayant toujours considéré que les clauses régissant les effets de l’inexécution et de la résolution avaient vocation à survivre à cette dernière, à l’exclusion de celles qui mettent en œuvre une exécution par équivalent, le créancier devant choisir entre la résolution et l’exécution du contrat. Si cet arrêt de 2012 confirme et même étend le principe affirmé dans l’arrêt de 2010 à toutes les clauses du contrat sans distinction, alors il a de quoi inquiéter. Il existe heureusement des raisons d’en douter.

L’ambiguïté des motifs de l’arrêt d’appel non levée par le conclusif de l’arrêt de la Cour de cassation laisse suffisamment de marge à l’interprète pour esquisser d’autres hypothèses plausibles. Même si certains auteurs considèrent que la distinction entre « résiliation » et « résolution » est galvaudée, y compris par la Cour de cassation (J. Dupichot, Gaz. Pal., 1983, 1, Doctr. 215, obs. sous com. 9 déc. 1981), il est fort probable que l’utilisation de ces deux termes distincts dans un même attendu ne soit pas anodin et ait une signification dans l’esprit des hauts magistrats. Le contrat a été « résolu », « en application des dispositions de l’article 1184 du Code civil », il n’y a donc pas lieu d’appliquer la stipulation contractuelle qui avait vocation à « régir les conditions et les conséquences de la résiliation unilatérale ». Autrement dit la clause avait pour objet la résiliation unilatérale, non la résolution judiciaire, elle n’a donc pas vocation à survivre à cette dernière.

Ce à quoi l’on pourrait rétorquer deux arguments. D’abord, la résiliation unilatérale ne serait-elle pas qu’une forme d’application extrajudiciaire de l’article 1184 du Code civil que l’on aurait amputé de son dernier alinéa ? Le régime de la résiliation unilatérale est encore très incertain, mais les arrêts rendus en la matière par la Cour de cassation semblent indiquer que la résiliation unilatérale est dépourvue d’effet rétroactif, ce qui transparait dans l’expression peu juridique « mettre fin au contrat » employée de manière récurrente depuis l’arrêt Tocqueville (en ce sens, T. Genicon, « Point d’étape sur la rupture unilatérale du contrat aux risques et périls du créancier », RDC 2010, p. 44). Mettre fin au contrat, c’est « mettre un terme anticipé à la relation contractuelle » (ibid.). L’image selon laquelle la résiliation unilatérale ne serait qu’une « sorte de prolongement renforcé de l’exception d’inexécution » a également pu être utilisée (A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 12e éd., n° 393), ce n’est peut-être pas un hasard si la cour d’appel retient que le créancier « s’est prévalu [de l’exception d’inexécution] pour mettre fin au contrat ».

Mais vient alors un second argument, si la cour d’appel a jugé que le créancier avait « mis fin au contrat de façon unilatérale, le 30 juillet 2008, à ses risques et périls », et si la résiliation unilatérale ne produit pas d’effet rétroactif, pourquoi le contrat a-t-il été anéanti rétroactivement en l’espèce, emportant avec lui la clause de résiliation anticipée ? Peut-être parce que la résiliation unilatérale extrajudiciaire s’est doublée en l’espèce d’une résolution judiciaire fondée sur l’article 1184 du Code civil. Dès lors que la gravité du comportement du débiteur justifie que le créancier mette fin unilatéralement au contrat, ce comportement devrait justifier a fortiori une résolution judiciaire du contrat pour inexécution. Cette analyse est renforcée par la formule « en conséquence » employée par la cour d’appel : « la gravité des manquements à ses obligations envers la SAS GFI Monetic justifi[ait] l’exception d’inexécution dont cette dernière s’est prévalue pour mettre fin au contrat et, en conséquence, la résolution pour inexécution du contrat (…) en application des dispositions de l’article 1184 du code civil ».

Le cheminement intellectuel serait ainsi le suivant : l’exception d’inexécution permet au créancier de mettre fin unilatéralement au contrat de manière non rétroactive, mais la saisine du juge permet d’apporter le caractère rétroactif qui fait défaut à la résiliation unilatérale, et ce par l’application de l’article 1184. L’assimilation du droit général pour une partie d’anéantir rétroactivement un contrat sans recourir au juge serait très difficile pour un droit français qui ne tolère les moyens de justice privée que de manière marginale, sans compter l’insécurité juridique que cela créerait vis-à-vis des tiers -sauf à considérer que l’effet rétroactif ne joue qu’inter partes– et les difficultés liées aux restitutions. Il parait donc plus prudent de considérer que le créancier a seulement le pouvoir de mettre fin au contrat pour l’avenir, pouvoir que l’on pourrait qualifier de « droit de résiliation unilatérale ». Une fois ce droit exercé, le débiteur pourrait alors saisir le juge s’il estime la résiliation abusive (contrôle a posteriori), mais le créancier le pourrait également, pour obtenir la résolution judiciaire du contrat, s’il souhaite in fine que le contrat ne soit pas seulement « interrompu » mais anéanti rétroactivement. Dans ce dernier cas de figure, la résiliation unilatérale extrajudiciaire ne serait qu’une mesure provisoire, transitoire, conversatoire, ce qui correspond bien à l’idée de « prolongement renforcé de l’exception d’inexécution » exprimée par A. Bénabent (op. cit.).

L’arrêt de la Cour de cassation est parfaitement compatible avec cette analyse. Le conclusif répondant à la seconde branche du moyen semble distinguer la résolution judiciaire (1184) de la résiliation unilatérale. En l’espèce il y a bien eu résiliation unilatérale dans un premier temps, mais une résolution judiciaire lui a succédé. La résolution judiciaire opérant rétroactivement, elle efface la résiliation unilatérale qui devient sans objet (on ne peut résilier un contrat qui n’existe pas) et, tel un jeu de dominos qui s’effondre, elle emporte avec elle la stipulation contractuelle régissant les conditions et les conséquences de la résiliation unilatérale qui devient à son tour, ipso jure, sans objet.

Cet arrêt soulève tellement d’interrogations et la jurisprudence offre si peu d’éléments de réponse à l’heure actuelle que l’on risque de se perdre en conjectures. On aurait par exemple également pu s’attarder sur le fait qu’il parait inique que le débiteur responsable de l’inexécution puisse se prévaloir d’une clause lui attribuant une indemnité en cas de résiliation, ce qui a peut-être influé sur la solution. La seule prétention de ces quelques observations est par conséquent de démontrer qu’il est probablement encore trop tôt pour affirmer que, selon la Cour de cassation, la résolution du contrat emporterait avec elle la disparition de toutes les clauses dudit contrat. On ne dispose pour l’instant que de cet arrêt de 2012 au sens très incertain, et de l’arrêt du 5 octobre 2010 déjà évoqué à la portée très incertaine. A propos de ce dernier, le rapport du conseiller rapporteur me fait penser qu’il relève plutôt d’un malentendu. Le conseiller rapporteur conclut en effet que « le moyen invite donc la Cour de cassation à changer sa jurisprudence concernant l’effet rétroactif de la résolution judiciaire d’un contrat », les hauts magistrats ont donc vraisemblablement rejeté le moyen en pensant aller dans le sens d’une jurisprudence constante, d’où l’absence de publication, alors que la solution est en réalité révolutionnaire sur le fond. Les hauts magistrats n’ont donc probablement pas eu la volonté d’opérer un revirement de jurisprudence dans cet arrêt inédit de 2010.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous.

Continuer la lecture